Aïssa Mandi victime de son «algérianité»

Il est annoncé par tous les spécialistes du football hexagonal comme une future star à son poste, celui d’arrière droit, tant ses prestations en championnat de Ligue 1 sont de haute volée. Aïssa Mandi, puisque c’est de lui qu’il s’agit, l’arrière droit franco-algérien du Stade de Reims, est en train, à seulement 21 ans, de frapper les esprits du football français et sa carrière semblait sur de bons rails.

Originaire de Châlons-en-Champagne, il est très vite repéré, à peine neuf ans, par Reims, le club phare de cette région, et franchit les étapes au sein de ce club, des catégories de jeunes à la réserve, puis à l’équipe première avec qui il franchira les différents paliers de la troisième à la Ligue 1, depuis cette saison où il est le titulaire à son poste. Si concernant la carrière d’Aïssa Mandi, nous avons décidé de conjuguer le verbe «sembler» à l’imparfait plutôt qu’au présent, c’est parce qu’il s’est produit un évènement récemment qui a plongé ce jeune talent prometteur dans une situation difficile malgré lui. Le vingt octobre dernier, après le match Paris SG-Stade de Reims, comptant  pour la neuvième journée du championnat de France de Ligue 1, le jeune Aïssa Mandi répondait aux questions de confrères journalistes en zone mixte. Parmi toutes ces questions, l’une était relative à son choix concernant l’équipe nationale, le joueur étant binational. Même s’il n’a pas voulu trop se mouiller dans sa réponse et est resté évasif quant à son choix définitif, le sujet étant très sensible en France, surtout lorsque ça concerne l’Algérie, Aïssa Mandi a répondu de manière honnête et décomplexée et on a détecté dans ses réponses un petit penchant pour l’équipe d’Algérie : «(…) Je suis Algérien et Français, donc tout est possible (…) C’est l’équipe nationale, c’est l’Algérie, ce n’est pas n’importe quel pays. C’est l’Algérie quand même (…) Je ne sais pas si j’ai le niveau pour évoluer en équipe d’Algérie, je ne connais pas le niveau de l’équipe, c’est au sélectionneur de décider.»

Une interview qui a mis le feu aux poudres à ReimsCette interview d’Aïssa Mandi sur le plan de la communication semblait réussie, puisque le joueur semblait ne pas se prononcer sur le sujet et privilégier son club. Elle aurait suffi à l’époque pour prémunir le jeune Feghouli ou le jeune Boudebouz de toute mauvaise surprise ou représailles de son club, en attendant de consolider sa position. Mais voilà, nous sommes en 2012, et la France en crise économique bascule dans la xénophobie et le repli sur soi, même au niveau politique et l’immigré, à sa tête l’Algérien, guerre de libération nationale non digérée oblige, est le parfait bouc émissaire. Les propos et les gestes très graves de certains élus français après la reconnaissance par François Hollande des exactions commises le 17 octobre 1961 en ont donné la preuve très récemment. Il aura fallu 15 jours pour que les propos du jeune Mandi arrivent à Reims, puisqu’après être passés à la télévision, ils ont dû transiter par la presse nationale avant d’être repris par la presse française, et comme il fallait le prévoir, ils ont déclenché le courroux des dirigeants rémois qui ont réagi très vite.  Après avoir été titulaire au Parc des Princes juste avant de donner l’interview, et titulaire le match suivant, le 27 octobre face à Troyes à domicile, la nouvelle n’étant pas encore arrivée dans la capitale de la région Champagne Ardennes, c’est au lendemain de ce match que tout a basculé.

«Le stade de Reims n’a pas vocation à former des joueurs pour l’Algérie»De hauts dirigeants du club l’ont convoqué et lui ont demandé de s’expliquer sur ses propos concernant l’équipe d’Algérie. Le joueur, qui, entre-temps a eu des contacts avec la FAF, a seulement confirmé ses dires dans cette interview. Et c’est là qu’un haut dirigeant lui a dit : «Le stade de Reims n’a pas vocation à former des joueurs pour l’Algérie», et le match d’après, Aïssa Mandi était puni et basculé en équipe réserve pour «algérwianité», une sanction qui n’existe pas sur le «board» de la FIFA. Et le 3 novembre dernier, c’est-à-dire après le recadrage de Mandi par ses dirigeants, Reims a joué à Rennes sans Aïssa Mandi. Grâce au ciel, il n’y a pas dans l’effectif du club rémois un arrière droit du niveau de Mandi et il est réapparu dans le 11 de départ d’Hubert Fournier, son entraîneur, la journée suivante face à Evian Thonon Gaillard.

On comprend mieux maintenant la prudence de Ghoulam Lorsqu’on a accès à de telles informations qui, habituellement, ne sortent pas du club, grâce à des informateurs, qui en ont marre de ce racisme insidieux et qui veulent que ça change, et qu’on voit ce qu’on fait subir les dirigeants rémois à un jeune de 21 ans, enfant du club de surcroît, et qui a juste dit un mot sur l’équipe d’Algérie qui est aussi la sienne ne l’oublions pas, on comprend mieux maintenant la prudence de certains joueurs binationaux, comme Faouzi Ghoulam. On comprend mieux les pressions énormes qu’ils subissent et surtout la peur de perdre son gagne-pain en cette période de crise économique, parce qu’on commet le crime de déclarer appartenir à une nation qui, en France, semble être, 50 ans après l’Indépendance, encore tabou.

Il a eu Vahid Halilhodzic au téléphoneSuite à ses déclarations, Aïssa Mandi a été approché par la FAF et le sélectionneur national Vahid Halilhodzic qu’il a eu au téléphone. Vahid Halilhodzic lui a dit qu’il ne l’appellerait pas pour le stage et le match de la Bosnie (heureusement pour lui, a posteriori, vu les conditions catastrophiques), car il voulait faire une revue d’effectifs des joueurs locaux, mais il lui a dit de continuer à travailler, qu’il l’avait à l’œil et que s’il continuait sur cette lancée, il recevrait prochainement une convocation.M. B.

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