Wilmots : «L’Algérie, une cellule s’occupe de la superviser»

Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’au cours de l’heure que nous a consacrée Wilmots dans son bureau au siège de la fédération belge, on a pu découvrir un homme d’une grande simplicité, sympathique, courtois mais aussi bienveillant par rapport à ses invités. Pour preuve, il n’a pas hésité à nous préparer en personne un thé : « Vous ne prenez pas de café, pas de souci, je vais vous préparer un thè, vous êtes mes invités et il est inconcevable que vous ne preniez rien », nous a-t-il dit. Pour nous mettre à l’aise et pour qu’il n’y ait aucun protocole, le coach des Diables rouges nous a tout de suite tutoyés afin de nous mettre à l’aise. Un grand communicateur. D’ailleurs, le monde des médias, il connaît bien pour avoir commenté les deux dernières Coupes du monde. Dans cette première d’interview, Marc Wilmots nous parle du match contre l’Algérie, mais aussi de sa touche et ce qu’il a apporté à cette équipe belge depuis un an et demi. Il évoque aussi les raisons qui l’ont poussé à opter pour la Côte d’Ivoire, le Luxembourg, la Suède et la Tunisie comme futurs adversaires pour préparer le Mondial. Dans la seconde partie demain, vous découvrirez Wilmots, l’homme, mais aussi le secret de cette génération de joueurs pétris de qualités que renferme l’équipe de Belgique.

- Quel a été votre premier sentiment lorsque la Belgique a tiré l’Algérie à Salvador de Bahia?

- Franchement, pas de sentiment spécial. Par contre, on sait que ça va être difficile. Que ce soit la Corée du Sud ou l’Algérie, la seule chose qu’on se dit : on ne connaît pas. Concernant l’Algérie, j’avoue que je ne connaissais pas beaucoup, seulement un ou deux joueurs notamment celui du FC Valence. Mais bon, depuis le tirage au sort, on a fait des recherches sur la Corée du Sud et l’Algérie. Il est clair que nous sommes qu’au début de février, mais nous avons établi un planning et à présent, tout le monde aura des matchs amicaux. On va les suivre comme eux le font, ce qui est normal…

- Donc, vous ne vous êtes pas dit ça aurait pu être pire…

- Pas du tout. Pour l’Algérie, je n’ai pas dit oh chouette, car je sais parfaitement que les Algériens ont un football très technique et c’est un pays passionné de foot. Sincèrement, je préfère jouer les gros. Contre les gros, vous n’avez rien à perdre par contre là, dans un premier match comme ça où vous êtes favoris face aux Algériens, vous avez tout à perdre. Cela fait 12 ans qu’on n’a pas fait de Coupe du monde. Il y a quatre équipes et toutes ont une chance de passer.

- Même si la Russie et la Belgique, sur papier, sont bien au-dessus…

- Franchement, pour ce groupe H, sortir de la phase de poules sera très difficile. On peut faire match nul pour le premier match, puis être battu lors du deuxième et se qualifier au cours du troisième. Toutes les équipes ont une chance de passer. Quand on joue une Coupe du monde, plusieurs paramètres rentrent en jeu : la forme du moment, la préparation, les blessures, un arbitre peut-être. En fait, ce n’est pas une Coupe du monde qui détermine le niveau d’une équipe…

- Ah bon, pouvez-vous être plus explicite ?

- Moi, ce qui m’intéresse, c’est ce qu’on a mis en place depuis un an et demi. Notre équipe (la Belgique, ndlr) a 23 ans de moyenne d’âge. On va enfin jouer une Coupe du monde, les joueurs vont prendre de l’expérience, du plaisir je l’espère, mais ils vont aussi apprendre pour après. Mon objectif à présent et celui des Belges c’est que l’équipe se qualifie pour les trois prochaines Coupes du monde et bien évidemment les coupes d’Europe des nations. Ça voudra dire qu’on est de nouveau stabilisés. Pour un petit pays comme nous, c’est pas mal.

- Vous avez une cellule qui supervise l’Algérie, jusqu’à maintenant que connaissez-vous de cette équipe?

- Le système tactique, la façon avec laquelle les Algériens jouent. Après ce sont les qualités spécifiques des joueurs. Un 4-2-3-1. J’ai regardé une mi-temps du match face au Burkina Faso quand ils se sont qualifiés. Mais bon, la vérité d’aujourd’hui ne sera pas celle de demain. Maintenant, il faudra attendre quelle sera la sélection des 30 puis des 23. On verra les matchs qu’ils vont jouer lors des dates FIFA et là, on pourra se faire une idée plus précise. Mais bon, je vais surtout m’occuper de mon équipe. Après, on verra les forces et faiblesses de nos adversaires. Concernant l’Algérie, je connais bien évidemment l’entraîneur Vahid Halilhodzic.

- Que connaissez-vous de lui ?

- Vahid Halilhodzic a un mental de guerrier, il sait pousser ses joueurs jusqu’au bout. Il a beaucoup d’expérience. C’est quelqu’un que je respecte beaucoup. A partir de là, ce sera certainement du 50/50 entre l’Algérie et nous.

- Vous lui avez parlé juste après le tirage au Brésil…

- On a juste eu le temps de se passer quelques mots car chacun avait des obligations avec la presse, puis chacun est reparti chez lui. Mais bon, j’ai suivi sa carrière à Lille, au PSG, sa carrière de joueur a été exceptionnelle. C’est quelqu’un dans le monde du football, il a du respect pour moi certainement comme j’en ai pour lui. On fait le même métier avec la même passion. Il a réussi à qualifier l’Algérie, ce qui n’est pas rien. Je crois qu’il en est très fier et prend beaucoup de plaisir. Il va être concentré pour bien préparer la Coupe du monde, j’en suis certain.

- Halilhodzic a justement raté celle de 2010 alors qu’il avait qualifié la Côte d’Ivoire pour l’Afrique du Sud. Un sentiment de revanche…

- On est toujours revanchards en football. On perd, on gagne, c’est ce qui fait que les défis sont si passionnants. Maintenant, pour un entraîneur, c’est super de faire une Coupe du monde alors qu’il y en a beaucoup qui n’en font jamais dans leur carrière. Me concernant, j’ai fait 4 éditions en tant que joueur, 2 en tant que consultant et là en tant qu’entraîneur, je vais attaquer ma 7e.

- Vous dites que votre équipe est jeune et inexpérimentée, mais c’est un peu le cas de l’Algérie, c’est vraiment un inconvénient…

- Je ne sais pas, sur le plan émotionnel, comment chacun le vit. On se met trop de pression, on veut réussir sa Coupe du monde, et c’est là la plus grosse bêtise, car on doit penser groupe et équipe. Mes joueurs, je ne sais pas comment ils vont la gérer, ils pourraient être insouciants, je ne sais pas. C’est un facteur qu’on va voir au jour le jour, celui qui sera nerveux, celui qui ne le sera pas. Mais bon, ils ont l’habitude de jouer devant de fortes affluences. Je vais leur dire une chose : trois matchs ne vont pas changer votre vie. Il y a une vie après la Coupe du monde. On veut juste essayer de porter haut les couleurs de notre pays.

- La grande hantise de Vahid, c’est que 80% de son effectif ne jouent pas. Pour un coach, c’est vraiment un grand souci, non ?

- Il est clair que quand vous choisissez des équipes de très haut niveau, l’option de rester sur le banc est très grande. Maintenant, pour un coach, si le joueur ne joue pas c’est embêtant pour une question de rythme. Nous concernant, mes joueurs arrêtent le 11 mai et on joue le 17 juin. J’ai cinq semaines de préparation, trois matchs pour les remettre sur pied. Mais bon, il y a un autre aspect, et plutôt un avantage et un atout, c’est la fraîcheur. Il y a à manger et à boire donc. Si vous voyez les Anglais qui jouent 60 à 65 matchs, ils sont carbonisés. Pour ma part, j’ai engagé un préparateur physique avec qui on fera le tour au mois de mars pour voir ceux qui sont en difficulté et voir ceux qui le sont moins. Il y aura un programme spécialisé pour chacun, une remise à niveau lors des deux premières semaines.

- Le gros problème de l’Algérie, c’est qu’il n’y a pas d’équipe type. Est-ce embêtant de ne pas connaître l’équipe qu’on aura en face ?

- J’ai envie de rigoler quand j’entends équipe type. Moi, je n’ai jamais pu jouer avec mon équipe type. Il y a toujours des blessés, des suspendus. Ça, c’est la sélection, j’ai une base de 25 à 30 joueurs mais moi je ne pleure pas quand quelqu’un n’est pas là. On a joué sans Vincent Kompany 6 matchs sur 10. Il y a des entraîneurs qui en font un drame mais, pour moi, il y a des solutions. Ceux qui l’ont remplacé m’ont apporté des solutions. Il faut juste trouver l’équilibre entre un football offensif et le bloc défensif comme ça a été le cas pour nous puisqu’on a marqué sans encaisser beaucoup de buts.

- Que pensez-vous avoir apporté à cette équipe belge depuis votre arrivée à la tête de cette sélection?

- Je pense avoir apporté beaucoup de choses. Ça fait 3 ans et demi que je suis avec cette équipe. J’ai arrêté ma carrière de joueur en 2002 où on était sur une belle série. Puis, il y a eu un trou de 10 ans. Dick Advocaat est venu me chercher et m’a demandé de recréer la famille qui était en 2002, ce que j’ai accepté car la passion de l’équipe nationale est revenue. J’ai analysé et j’ai dit oui. Après l’autre entraîneur (Leekens) est parti et on m’a demandé de prendre les rênes...

- Et là, vous avez mis votre touche…

- Oui. On a mis en place un jeu offensif car je voulais que l’équipe marque en jouant un jeu osé et il fallait le faire intelligemment. Pour cela, il fallait analyser les joueurs. Aussi, il faut savoir qu’avant on ne parlait pas ensemble, pas de conversations. Donc, on a pris le temps de converser en mettant des règles dans l’équipe. On a remis beaucoup de rigueur. Les joueurs se sont libérés. Les joueurs se sentent à l’aise, on a remis une vraie famille proche du peuple.

- Malgré la différence de langue que vous avez dans votre pays…

- Au sein de la sélection, à ce niveau-là, il n’y aucun souci, tous mes joueurs parlent les deux langues et ça fait le rapprochement du peuple. On vit bien ensemble et ça se transmet. Quand l’équipe donne tout, le public s’identifie à ça. Quand on tire dans le même sens, on est forts et c’est le cas pour nous actuellement.

- Vous étiez l’adjoint de Leekens qui a été aussi sélectionneur de l’Algérie. Est-ce que vous lui avez parlé pour notamment lui demander des informations?

- Non, pas du tout.

- Il y a aussi pas mal d’Algériens qui vivent en Belgique. En avez-vous croisé et qui vous ont parlé de ce match ?

- Tout à fait, dans la rue un ou deux m’ont attrapé pour me dire : on va jouer contre vous, on va gagner. Bof, c’est sympa et c’est dans le fair-play le plus total.

- Les supporters algériens étaient plutôt contents de tirer la Belgique, puis informations prises ils ont vite compris que ça ne sera pas du gâteau. Ne pensez-vous pas que c’est cette première impression que votre équipe laisse ?

- D’abord, on ne s’attendait pas à nous qualifier aussi brillamment. Quand on a commencé, la Croatie était au-dessus du lot. La Serbie avec sa génération aussi. On était avec l’Ecosse au même niveau. Je ne m’attendais pas à prendre 26 points. La machine s’est mise en route. On a recadré match par match. Tout s’est bien passé pour nous. A partir de ce moment, on s’est classés dans les 7, voire huit meilleures nations d’Europe.

- C’est ce qui vous a valu d’ailleurs d’être tête de série…

- On a fait un parcours exceptionnel. Pour ce qui est de notre classement FIFA, mon souci ce n’est pas de jouer les petites équipes pour le sauvegarder. J’ai voulu jouer la Colombie, la Côte d’Ivoire pour continuer à progresser. Cette génération a faim et croit en elle. On n’est jamais à l’abri de ramasser des baffes et quand on les prend, on se relève par la suite. Les joueurs sont ambitieux, ils jouent dans de grands clubs. Cependant, il faut qu’ils jouent. J’ai moi aussi 5 à 6 joueurs qui ne jouent pas. Donc, je comprends parfaitement Vahid, car il va falloir jongler avec ça aussi. Pour revenir à la campagne, la Belgique et la Croatie sont passés et tout cela maintenant est derrière nous.

- Finalement, qu’appréhendez-vous chez cette équipe algérienne ?

- Ce match-là, on n’arrête pas d’en parler, franchement, on a envie de commencer. On arrive tard au Brésil, c’est le 1er match, il faut bien gérer les trois matchs et finir dans les  deux premiers.

- Passons à la Belgique. Dix mille spectateurs en Ecosse. Ressentez-vous cet engouement autour de l’équipe surtout que ça fait 12 ans qu’elle n’a pas participé à une Coupe du monde ?

- Les supporters ont envie qu’on aille le plus loin possible, c’est normal. Ils veulent qu’on aille loin et c’est notre objectif. On avait une grosse pression. On a cassé la poisse de ne pas se qualifier et le traumatisme de toujours finir 3e ou 4e. Le maillot est là. On a pu rassembler les gens avec le cœur, ce qui est une énorme chose en soi.

- Une élimination lors du premier tour serait une grosse déception…

- Je crois que le public sera déçu dans le cas où les joueurs ne se donneraient pas à fond. S’ils savent que les joueurs donneront le maximum, il n’y aura aucun souci par rapport à cela. Il est clair qu’on va tout faire pour réaliser une bonne préparation. Après, il y a des faits de jeu qu’on ne peut contrôler. J’ai confiance en les gens que j’ai avec moi. On va en Coupe du monde avec beaucoup d’ambitions. On va jouer les trois matchs, faire un bilan, analyser par rapport aux blessés, on verra à ce moment-là. Après, il ne faut pas dire des bêtises comme par exemple gagner la Coupe du monde.

- Vous avez fait 4 Coupes du monde en tant que joueur. Comment allez-vous gérer cette équipe de jeunes qui n’ont pas encore vécu ensemble pendant une longue durée?

- J’ai déjà anticipé tout cela. Je ne veux plus voir se produire des choses qu’on a vécues par le passé. En plus, j’ai choisi un endroit parfait où on aura beaucoup de possibilités pour se distraire, je dis bien se distraire et non sortir. Tout est préparé et ressenti. Il n’y a pas de modèle. Avec mon expérience, j’anticipe et communique avec mes joueurs. Franchement, on ne peut pas s’ennuyer, on arrive le 10, on joue le 17 et il y a trois jours entre chaque match. Le pire, c’est avant. Mon programme est entrecoupé entre famille et boulot. Tous les joueurs auront le temps de rentrer voir leur famille pendant la préparation pour au moins un jour et demi.

- Beaucoup de joueurs talentueux dans votre effectif, vous aurez vraiment un problème pour faire votre liste finale…

- Certes, l’effectif est bon, mais non je n’aurai pas de difficultés. Il y aura des malheureux qui ne feront pas la campagne. Il y a des choix et je les ferai et c’est à moi de voir ce dont j’ai besoin pour faire du bon travail.

- Il y aussi le cas de Januzaj qui s’est révélé à Manchester United. Pourrait-il rejoindre la sélection ?

- Je l’ai déjà dit, je ne ferai aucun commentaire sur ce cas. S’il y a eu des discussions, vous ne le saurez jamais, il y a juste une personne qui est au courant de ce dossier, et vous ne saurez jamais qui c’est.

- Une préférence pour les huitièmes de finale ?

- Le principal, c’est d’aller le plus loin possible, je n’ai pas de préférence. Tout le monde parle directement de Portugal et d’Allemagne. Moi, je n’ai aucune préférence, ni Allemagne, ni Portugal, ni Ghana ou Etats-Unis.

- Pourquoi avoir choisi la Côte d’Ivoire comme futur adversaire ?

- C’est parce que nous avions fait des équipes d’Europe, d’Asie et la Colombie. En plus, il n’y avait pas d’équipes africaines. Le programme a été ficelé il y a déjà 5 à 6 mois. Tout a été planifié. On avait des accords et en plus tout peut arriver, on peut très bien jouer le Ghana. Je voulais jouer contre différentes équipes de différents continents. Ce sont de bons tests où on apprend plein de choses.

- Puis, ce sera la Suède. Ne pensez-vous pas que ça ne sera pas évident surtout que les joueurs seront en vacances ?

- Il y aura le Luxembourg avant. Puis, on affrontera la Suède où on va retrouver le climat qui est celui de jouer à l’extérieur. Les joueurs en vacances ? Je ne pense pas car s’ils seront convoqués pour jouer un match avec leur équipe nationale, je suis certain qu’ils répondront présents.

- La Tunisie, c’est parce que c’est le même style que l’Algérie…

- C’est à peu près le même style, même si ce n’est pas une garantie. En plus, nous avons le même sponsor. C’était une bonne action sur le plan marketing et c’était parfait pour moi.

A. H. A.

 

«Pour l’instant, je connais son système tactique et le joueur du FC Valence»

«Vahid, je connais bien, c’est un guerrier, il les poussera jusqu’au bout»

«Belgique-Algérie : ça sera du 50/50»

«Voilà ce que j’ai apporté à cette équipe»

«Au Brésil, ça sera ma 7e Coupe du monde»

 

 

 

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