En s’attaquant frontalement à l’hégémonie marocaine dans les coulisses du football continental, le président de la Fédération sénégalaise, Augustin Senghor, a osé ce que beaucoup n’avaient jusqu’ici fait qu’en coulisses : dire tout haut ce que nombreux de gens pensent tout bas.
Et le moins que l’on puisse dire, c’est que sa sortie fracassante pourrait bien rebattre les cartes au sein d’une CAF de plus en plus contestée.
Le Maroc dans le viseur, Lekjaâ en ligne de mire
Dans une interview sans détour accordée à la chaîne sénégalaise privée 2STV, Senghor n’a pas mâché ses mots. Il accuse un groupe restreint de dirigeants issus du monde arabe, avec en tête le président de la Fédération marocaine, Fouzi Lekjaâ, d’avoir confisqué le pouvoir au sein de la CAF. "Ce n’est pas un dirigeant qui est fort, c’est un pays qui a imposé sa position à toute une Confédération", lâche-t-il avec fermeté, pointant une forme de clientélisme institutionnalisé au profit de Rabat. Cette dénonciation fait écho à ce que beaucoup perçoivent comme une anomalie : l’omniprésence du Maroc dans les processus décisionnels, les événements, et même dans les matchs "à domicile" qui ne le sont plus vraiment.
La CAF complice du déséquilibre
Senghor va plus loin. Pour lui, la CAF n’est pas seulement passive, elle est complice. « La CAF a jeté toutes les Fédérations africaines dans les bras du Maroc », affirme-t-il. Il dénonce un système d’allégeances où certains pays cèdent leur autonomie sportive en échange de faveurs ou d’avantages logistiques. Il cite notamment le cas du Niger, contraint d’accueillir ses matchs au Maroc, pays hôte mais aussi adversaire : « Cela pose un vrai problème d’éthique », s’indigne-t-il. Pour Senghor, ce type de pratiques sape les fondements même de la compétition loyale et de la souveraineté des Fédérations africaines.
L’appel à un sursaut continental
L’ancien vice-président de la CAF ne se contente pas de dénoncer. Il appelle à un sursaut, à un retour à l’esprit d’unité et de représentativité continentale. « J'ai l'impression qu'on parle plus de la Coupe arabe de la FIFA que des compétitions africaines », ironise-t-il, en pointant la dérive identitaire de la Confédération.
Et la critique ne s’arrête pas à Lekjaâ ou Motsepe. Senghor interpelle aussi les chefs d’État africains, les invitant à se réapproprier le football comme un levier de souveraineté et d’unité. « Il est intolérable que 10 % de l’Afrique représentent 90 % du continent à la FIFA. Ce n’est pas acceptable. »
Sadi au COMEX : une fenêtre stratégique pour l’Algérie
Dans ce climat tendu, l’entrée de Walid Sadi au Comité exécutif de la CAF revêt une importance capitale. Le président de la FAF, récemment élu, arrive à un moment où les lignes commencent enfin à bouger. Et si Senghor ne l’a pas visé dans ses critiques, c’est probablement parce qu’il voit en lui un allié potentiel dans cette recomposition du pouvoir au sein de la CAF. L’Algérie, grâce à Sadi, peut jouer un rôle d’équilibre et de médiation entre une Afrique subsaharienne en quête de justice et un bloc nord-africain dominé par les ambitions marocaines. Sadi a l’occasion, s’il manœuvre habilement, de s’imposer comme une figure centrale, respectée à la fois par le Sud et par les nations du Nord qui refusent la logique d’alignement sur Rabat, mais la mission ne sera pas de tout repos.
Un tournant historique ?
Ce coup de gueule de Senghor ne doit pas rester isolé. Il révèle une fracture profonde au sein du football africain, mais aussi une chance rare de repartir sur de nouvelles bases. L’Algérie, fidèle à ses principes de justice et de souveraineté a aujourd’hui un rôle à jouer. Et Walid Sadi, s’il saisit l’instant, pourra bien incarner cette nouvelle génération de dirigeants africains, capables de résister aux logiques d’influence et de bâtir une CAF réellement représentative. L’Afrique du football est à un tournant. Le statu quo vacille. L’heure des grands équilibres est peut-être venue.
S.M.A.