Saïb : «Guy Roux, le Ramadhan et moi»

Moussa Saïb, l’ex-footballeur international de la JS Kabylie, a entamé sa carrière pro à Auxerre. Guy Roux, son entraîneur, a tout tenté pour le dissuader de ne pas jeûner en match officiel. En vain.

Qu'est-ce qui vous vient à l'esprit lorsqu'on évoque le Ramadhan et le foot ?

L'AJ Auxerre, évidemment, le club professionnel français où j'ai été confronté à cette situation. Moi, j'ai eu la chance que Ramadhan tombe en hiver. La rupture du jeûne survenait aux environs de 18h et les matches étaient programmés à 20h, donc ça ne me posait pas trop de problèmes. En Algérie j'avais déjà l'habitude de jouer en diurne, alors ça allait encore mieux en nocturne. Le Ramadhan n'affectait pas mon rendement, même si je reconnais que jouer à jeun n'est pas la même chose que lorsqu'on a bu et mangé au préalable. Il y a la concurrence aussi qui est aux aguets. Après, c'est dans la tête que ça se passe, il y a la foi qui entre en jeu. J'étais encore épargné par les blessures, c'était déjà pas mal.

Et comment ça se passait avec votre entraîneur, le célèbre Guy Roux ?

Guy Roux est un type bien curieux, il aimait déjà bien savoir pourquoi on faisait le Ramadhan. Il savait aussi que ce n'était pas évident de jouer au haut niveau sans s'alimenter pendant de longues heures. Un jour, je lui ai expliqué qu'étant musulman et pratiquant, j'étais tenu d'observer le jeûne et de jouer ainsi. Je lui ai ajouté que cela faisait longtemps que je jouais sans peine dans ces conditions et que ce n'était pas demain la veille que j'allais changer d'attitude. Chez nous on attend l'avènement de Ramadhan avec impatience, avec joie, je lui ai expliqué que ce n'était pas un handicap et que, de plus, il m'était psychiquement impossible d'agir autrement. Il a essayé de m'en dissuader en me livrant son raisonnement.

C'est-à-dire ?

Il me disait : tu sais, quand tu ne mets pas d'essence dans une voiture elle ne roule pas, le corps humain c'est pareil, si tu ne l’alimentes pas il ne pourra pas avancer. Je lui répondais que je comprenais tout ça, évidemment, mais que je ne pouvais pas déroger à nos règles musulmanes. Il n'a pas cédé, il est allé voir le recteur de la mosquée de Paris pour lui demander s'il y avait une dérogation pour ne pas faire Ramadhan. Celui-ci lui a dit que lorsqu'on effectue un voyage d'environ 86 km, on était autorisés à ne pas jeûner. Guy Roux est ensuite venu me voir, fier de tenir sa solution. Il me disait : tu vas jusqu'à Sens, à une centaine de kilomètres d'Auxerre, tu manges et tu reviens, tu seras pardonné ! Je lui ai répondu : je sais tout ça aussi, mais je n'y peux rien ! Il a fini par admettre la chose et respecter ma conviction religieuse. Mais il venait quand même le soir me remettre des vitamines pour m'aider à garder la forme.

Et avec la JSK ou la sélection algérienne, n'avez-vous pas souffert durant les déplacements en Afrique ?

Non, pas que je sache, on était tous musulmans, donc tous tenus de faire Ramadhan. Ça allait. Je n'ai aucun souvenir où on nous aurait obligés de manger pour jouer un match.

Certains disent qu'en fin de compte il est plus facile de jeûner en Europe qu'en Algérie, est-ce vrai ?

Le problème est qu'il y a trop de vide en Algérie, tout marche au ralenti, il n'y a personne qui travaille. Quand vous sollicitez l'administration, on vous sort des trucs démoralisants du genre : revenez après Ramadhan. En Europe, en revanche, tout est bien organisé, tu peux organiser ta journée convenablement, tu peux faire mille et une activités, il n'y a pas de vide et le temps passe. Chez nous, le temps semble s'arrêter durant le mois sacré, les gens y sont nerveux, sonnés et ça n'avance pas.

H. D.

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