Réda Abdouche chapeaute la Direction de contrôle et de gestion des finances. Il revient sur la création de cette structure et les incroyables anomalies qu’il a répertoriées…
En quelques mots, qu’est-ce que la Direction de contrôle et de gestion des finances (DCGF) dont vous êtes le premier responsable ?
C’est une structure qui a été mise en place durant le mois d’octobre 2019, à la suite de la réunion du Bureau Fédéral (BF) tenue à Ouargla le mois d’avant. Notre direction est composée de 5 membres, tous des spécialistes en matière de gestion comptable, financière, juridique et de management. Il faut savoir que la DCGF est prévue dans tous les textes de la réglementation algérienne. On doit aussi faire la différence avec la Direction nationale du contrôle de gestion (DNCG) en France, qui a été créée en 1984, à la suite du scandale de la caisse noire de l’AS Saint-Etienne et son président Roger Rocher. Nous avons refusé de faire du copier-coller.
Pourquoi ?
Dans notre fonctionnement, nous avons voulu cadrer ave la réglementation algérienne et aucune autre. Pour ne rien vous cacher, on nous a invités à faire un petit stage ou une visite d’information en France, à ce jour j’ai refusé. On n’a pas besoin de la DNCG française, nous avons ce qu’il faut chez nous. Il convient d’appliquer les choses, c’est tout. Nous ne sommes pas une autorité de régulation dans le sens anglo-saxon, mais une instance de régulation, c’est-à-dire une entité qui veille et qui veut appliquer la réglementation algérienne. Ce que nous voulons au final, c’est que les clubs fonctionnent bien et qu’ils appliquent la réglementation algérienne qui traçait déjà les attributions et le fonctionnement. Ainsi, dès le départ, on a cherché à savoir si les SSPA respectaient notre réglementation.
Peu de clubs étaient réglos, on suppose…
Oui, on s’est aperçus que seule la JS Saoura avait une gestion exemplaire. Les autres étaient tous plus ou moins à côté. Notre premier souci était de mettre ces SSPA en adéquation avec la réglementation. Nous avons tenu 5 réunions avec les clubs concernés et nous avons fait beaucoup d’observations, certaines d’ordre général et d’autres particulières.
Par exemple ?
A l’exception de la JSS, aucune SSPA n’avait un responsable de la sécurité, alors que cela figure dans l’organigramme-type datant de 2010. Pareil pour le directeur des médias. Et cela créait des problèmes dans le fonctionnement des clubs. Quand il y avait des soucis de violence dans un stade, on n’avait pas de vis-à-vis pour discuter de ce problème. Beaucoup d’hommes des médias se plaignent aussi de l’accueil dans les stades. Par ailleurs, nous avons réclamé les bilans de 2018, un exercice en principe clos, il y a quatre clubs qui ont traîné la patte et qui ne nous ont toujours pas remis ces bilans.
Vous les avez sanctionnés…
On n’est pas là pour couper des têtes, en première intention. Justement, au début les gens croyaient qu’on était comme la DNCG française et qu’on allait suspendre des clubs, les faire rétrograder en division inférieure ou les empêcher d’accéder en division supérieure. On peut aller jusque-là, mais dans la feuille de route qui nous a été tracée par le BF, il est question d’abord de faire de l’accompagnement, c’est-à-dire voir ce qui ne fonctionnait pas, donner des conseils et trouver des solutions.
D’autres exemples de ce qui ne fonctionnait pas…
On s’est aperçus que certaines personnes décédées depuis deux ans figuraient encore dans les statuts, on a vu que des registres de commerce n’étaient pas actualisés. En matière de fiscalité, des clubs déclaraient les joueurs à la CNAS mais sans la payer. On a réalisé aussi que tous les clubs étaient déficitaires.
Vous avez déclaré que la dette des clubs de L1 atteignait les 1 000 milliards de centimes…
Oui, ce sont des déficits cumulés sur 5 ans, cela concerne en fait 14 clubs de L1 sur 16. Cela sans compter la CNAS et l’IRG.
Autrement, on arriverait à quel chiffre ?
Ben, ce serait tout simplement le double ! En comptant le fiscal et le parafiscal, les dettes seraient de l’ordre de 2 000 milliards de centimes. C’est l’estimation qui a été faite, la CNAS ayant en plus pris en considération un salaire plafonné à 27 millions de centimes, alors qu’on sait que les salaires des joueurs sont beaucoup plus importants. Les clubs ne pourront jamais rembourser ces sommes astronomiques. Pendant 10 ans, il n’y a pas eu de contrôle, on a laissé faire et quand le professionnalisme a été instauré, cela s’est fait dans la précipitation. Jusqu’à aujourd’hui, il y a des clubs qui confondent entre l’association sportive et l’association par actions à objet sportif.
Que faire pour y remédier ?
Ce sera très, très difficile. Les solutions sont connues, d’abord il faut effacer l’ardoise et établir un échéancier, mais avec une gestion hyper rigoureuse, cela passe par des coupes dans les salaires. Il faudra revenir à l’orthodoxie de la gestion tout court. Les financiers savent de quoi je parle. Le problème chez nous, c’est que l’approche méthodologique du professionnalisme a été mauvaise.
En plus clair…
Les clubs n’ont pas eu l’essentiel : l’outil de travail, qui est le camp d’entraînement ou le centre de formation. Avec cet outil, le retour sur investissement serait immédiat. Le week-end, quand les jeunes sont en compétition officielle, le centre est libre. Il peut donc être loué à d’autres équipes dans d’autres disciplines. Donc, dans le court terme, ça peut être rentabilisé. A moyen terme, on peut tirer bénéfice du produit de la formation. C’est une lubie de parler de professionnalisme sans camp d’entraînement. On en est toujours à attendre les subventions de l’Etat. J’ai assisté une fois à une conférence en Egypte, j’ai entendu le président d’Orlando Pirates dire : «Moi, j’ai doté mon club d’un outil de travail», sur des fonds propres. Ce club sud-africain se suffit aujourd’hui à ses besoins. Pareil pour l’ASEC Abidjan dont le président a indiqué, lors de la même conférence, que le camp d’entraînement de ce club ivoirien fait même vivre 80 familles. On peut ainsi mesurer l’importance du centre de formation dans le professionnalisme.
Et dire que les clubs algériens ont bénéficié de parcelles de terrains pour construire leurs propres camps d’entraînement…
L’Etat algérien a effectivement pris toutes les mesures pour que cette réalisation se fasse. Pratiquement tous les clubs ont eu des assiettes de terrain allant de 2 à 3 hectares. En plus, en 2011, tous les clubs avaient droit à un prêt bancaire à concurrence de 10 milliards de centimes avec un taux d’intérêt de 1%, un délai de grâce de 10 ans et un délai de remboursement de 15 ans. Malheureusement, aucun club n’a voulu se lancer dans cette réalisation qui aurait permis de subvenir à ses besoins…
H. D.