Enzo Scifo : «Vahid a réussi presque partout»

Vincenzo Scifo, dit Enzo Scifo, l’ancien meneur de jeu des Diables rouges de la Belgique, a épaté le monde par son talent, durant son passage en sélection entre 1984 et1998, il a été la star incontestée de cette équipe qui a réussi l’exploit d’atteindre la demi-finale du Mondial 1986 au Mexique, éliminée par l’Argentine de Maradona, future championne du monde. Sélectionné à 17ans et promu en équipe fanion d’Anderlecht au même âge, il a eu la chance de durer dans le monde du foot et de côtoyer plusieurs générations à la fois et même des joueurs algériens, il nous en parle dans cette interview et nous donne aussi son avis sur le groupe H comportant son pays la Belgique et l’Algérie, cette fois en tant qu’entraîneur, un métier qu’il exerce depuis 2001, Suivons-le.

- L’Algérie est tombée dans le même groupe que la Belgique, la Russie et la Corée du Sud, vos impressions après ce tirage ?

- Ce que je vous dirais, c’est la même chose qui se dit ici en Belgique, je crois que c’est un tirage favorable pour nous les Belges, c’est en tout cas l’avis général, après dans le foot il y a plusieurs facteurs qui peuvent changer la donne, ça dépend aussi de l’aptitude des adversaires.

- Pouvez-vous nous donner votre avis sur chacune des trois équipes que vous aurez comme adversaire au Brésil, on commence par l’Algérie ?

- Sincèrement, je ne connais pas forcément les détails de votre sélection, par contre je sais que le football algérien est très technique, et puis je présume que si cette équipe a atteint le Mondial, c’est qu’il y a bien une raison valable, et qu’elle a ses atouts, donc je pense que ça sera une équipe intéressante à suivre.

- La Russie ?

- Oh, la Russie, chez eux, ça joue bien au football. Les Russes compensent un petit peu le manque de technique par un jeu collectif intéressant, mais parfois ils peuvent passer à côté de leur match, donc je dirais que s’ils sont dans un grand jour, ils peuvent battre n’importe quelle équipe, en revanche dans l’autre cas, ils peuvent présenter un visage terne, ceci dit, en présence d’un entraîneur comme Capello, qui est capable de tout, il y aura, ça c’est sûr, plus de rigueur, et il ne laissera rien au hasard, il faut donc se méfier des Russes.

- La Corée du Sud ?

- Pour les Sud-Coréens, on connaît déjà le Japon, nous les Belges on les a déjà joués, donc on a une idée sur le foot asiatique, quoique la Corée du Sud est beaucoup moins forte que le Japon, mais je reconnais qu’elle a un football qui met en difficulté, avec ses passes courtes, sa technique et surtout sa vivacité, mais ce n’est pas une équipe imbattable, elle est capable de perdre des matches qui paraissaient pourtant à sa portée.

- La dernière apparition des Belges en Coupe du monde remonte à 2002, 12 ans plus tard, les voilà parmi les grandes nations du monde, ne craignez-vous pas que ça mette une pression négative sur votre jeune équipe et quel sera l’objectif à atteindre au Brésil ?

- Le but est de sortir d’abord de la phase des poules, il y a 2 ans, on était nulle part, il fallait reconstruire, mais on avait la pâte et le talent nous permettait de le faire, donc, aujourd’hui, comme tout Belge, je suis satisfait du résultat qu’on a eu, après pour ce qui est de la pression, je crois effectivement que le groupe actuel manque encore de maturité, c’est la seule chose que je puisse redouter, et je pense que ce Mondial va être un bon test pour nous.

- Depuis le tirage, la presse belge ne cesse de crier victoire, elle paraît un peu trop confiante, et on a l’impression qu’ils sous-estiment les adversaires des Diables rouges, avez-vous remarqué ça ?

- Absolument, j’ai vu ça et j’ai pu le remarquer, mon expérience dans le domaine m’a appris que dans de telles compétitions, il n’y a jamais d’adversaires faciles, mais en même temps, on peut comprendre cette euphorie, car hériter de l’Algérie, c’est forcément mieux que de tomber contre la France ou l’Espagne, donc à première vue, effectivement, ce groupe paraît abordable pour nous.

- Anderlecht a déjà joué ici en Algérie dans les années 1980, avez-vous fait partie de cette équipe ? Non, malheureusement je n’ai jamais visité l’Algérie.

- Vous avez aussi joué à l’Inter de Milan, un club que vous suivez sans doute actuellement, et dans cette équipe, il y a deux joueurs de l’équipe algérienne, à savoir Taïder et Belfodil, les connaissez-vous ?

- J’en ai entendu parler, mais je ne les connais pas bien, ceci dit, mais durant ma carrière j’ai eu à apprécier quelques joueurs algériens, et à chaque fois leur style de jeu m’a épaté, leur manière d’attaquer le foot est extraordinaire, ils sont très techniques, créatifs et cela explique leur présence au niveau de grands clubs.

- Vous dites que vous avez connu quelques-uns, pouvez-vous nous citer un exemple ?

- Oui, il y a eu des éléments avec qui j’ai joué, parmi eux Ali Benarbia, on était ensemble à Monaco puis il est parti en Angleterre, c’était un joueur très redoutable, il pouvait faire des miracles avec un ballon.

- A Auxerre, quelque temps après votre départ, il y a eu un digne successeur, et il était Algérien…

- Oui, Moussa Saïb, oh lui aussi il a marqué de son empreinte son passage en France, je me souviens effectivement que sa venue à l’AJA est intervenue quelques années après mon départ, vous voyez, ces exemples-là correspondent tous à l’idée que j’ai de votre football très technique.

- Il y a eu des échanges dans le foot entre l’Algérie et la France, mais aussi avec la Belgique, la preuve, deux de vos anciens sélectionneurs ont aussi drivé les Fennecs, à savoir Leekens et Wasseige, en plus de Michel Renquin (ndlr, ex-coach du MCA) que vous connaissez sans doute bien, est-ce que ce n’est pas déjà un avantage pour les Diables rouges en prévision du premier match au Brésil ?

- Probablement, ce sont des monuments, des personnalités qui sont fort sollicitées, ils auront certainement un avis tranché sur l’Algérie pour donner un sentiment général bien sûr.

- Il y a trois années, la légende vivante des Pays-Bas et du Barça, à savoir Johan Crujff a misé sur votre sélection, il avait déclaré que ça allait être l’une des nouvelles forces de l’Europe dans le monde du foot et aujourd’hui, on voit le résultat, c’était bien vu de sa part, n’est-ce pas ?

- Oui, tout à fait, mais on l’avait dit aussi. Moi-même, il y a deux ou trois ans, j’avais prédit qu’il fallait absolument imposer un travail qui correspondait à l’équipe, au niveau de la gestion, par rapport à ce qu’elle possède, il y a eu donc Advocaat, il y a eu Leekens, et, maintenant, il y a Wilmots, et donc les résultats ont suivi, maintenant tout le monde est unanime, tout le monde a vu que cette équipe a du talent, qu’elle a un équilibre aussi, donc il lui reste peut-être un peu de maturité pour atteindre le très haut niveau et affronter les grosses nations du football, et je pense qu’aujourd’hui, il y a déjà un travail qui a été fait, il y a encore des manques, on a vu que face à des équipes plus fortes on a été confrontés à quelques difficultés, on doit encore s’améliorer à ce niveau-là, je pense donc que la Belgique a eu cette fois toutes génération confondues la meilleure équipe qu’elle n’a jamais eue, ça, c’est sûr.

- A ce point ? Pourtant, on aimait bien aussi l’équipe de votre époque…

- Oui, je pense, surtout au niveau qualité, maintenant, il n’y a pas que ça, c’est vrai, notre équipe des années 1984-86 ou même un peu plus tard, on était mature, il y avait un bon équilibre entre les jeunes et les anciens, la plupart jouaient en Belgique à ce moment-là, il y avait que moi ou peut-être Georges Grün qui jouaient à l’étranger, mais le reste, c’était tous des joueurs locaux, et aujourd’hui c’est le contraire, ils ne jouent plus ici, mais dans les plus grands clubs européens.

- En parlant de ces joueurs qui s’épanouissent dans les plus grands clubs européens, est-ce que l’apport de joueurs comme Courtois et Hazard va être décisif dans cette Coupe du monde ?

- Ecoutez, maintenant, il ne s’agit pas de jouer les matches, six mois avant, dans les journaux ou en parole, la Coupe du monde reste quand même le sommet, mais je crois objectivement que Hazard, Courtois et d’autres joueurs sont des joueurs, s’ils sont au sommet de leur potentiel, et je sais qu’ils le seront car ils sont en train de se préparer, ils risquent de faire un bon parcours, ça j’en suis sûr.

- Des joueurs algériens, il y en a eu en Belgique, l’un d’entre eux joue actuellement en sélection, à savoir Adlène Guedioura, il a même joué dans votre club de cœur, Charleroi…

- Oui, oui je le connais, lui comme les autres, il a du caractère, et je pense sincèrement qu’avec de tels joueurs, si on arrive à construire une équipe et un état d’esprit, ça sera difficile, je compare un peu au Maroc, qu’on a affronté nous en 1994, on a gagné 1 à 0 au premier match, alors que tout le monde pensait qu’on allait les bouffer, donc je pense qu’il faut prendre au sérieux cette équipe algérienne, car je pense que si votre équipe sera dans un bon jour, elle risque de nous poser des problèmes.

- Vahid Halilhodzic, un nom que vous connaissez sans doute, aujourd’hui c’est lui le sélectionneur, qu’avez-vous à dire sur ce monsieur ?

- Oui, oui je le connais

parfaitement, c’est lui qui entraîne l’Algérie ?

- Oui, depuis 2011…

- C’est quelqu’un qui a une très belle réputation, il a une grande expérience, je ne le connais pas particulièrement parce que je ne l’ai jamais croisé dans ma carrière, mais il a déjà prouvé avec les équipes qu’il a entraînées, notamment le LOSC et le PSG, qu’il avait la maîtrise, il a réalisé du bon boulot, donc avec le caractère qu’il a c’est un profil qui correspond avec une sélection, la preuve, il a réussi à qualifier l’équipe, et il ne va sans doute pas se contenter de ça.

- La nouvelle génération ne connaît peut-être pas Enzo Scifo, qui était l’un des meilleurs meneurs de jeu en Europe à une certaine époque, est-ce qu’aujourd’hui vous vous reconnaissez dans un joueur de l’effectif actuel des Diables rouges, autrement dit, qui est le nouveau Scifo ?

- Ecoutez, moi je pense qu’il faut comparer ce qui est comparable, il faut que ça soit le même profil, et je ne pense pas qu’aujourd’hui il y a un joueur qui joue comme moi, par contre Eden Hazard a fait toute sa formation derrière les attaquants, et maintenant on l’a décalé un petit peu sur les ailes, c’’est un peu les mêmes caractéristiques, mais il est un peu plus offensif que moi, mais je me revois un petit peu en lui, parce qu’il a ce coup de génie, il sait marquer et faire la différence, il sait créer, moi par contre, j’étais dans les 10% un peu moins offensif que lui, car j’orientais et je revenais plus derrière, lui il a cette faculté de toujours aller de l’avant.

- Malgré ses bons résultats à la tête de la barre technique de la Belgique, Wilmots n’arrive toujours pas à faire l’unanimité, est-ce qu’il a la capacité d’aller encore plus loin ?

- Bien sûr, moi je pense qu’il a encore une marge de progression, mais avec de la maturité et de l’expérience, il sera encore plus performant je pense, après quand quelqu’un gagne, on dit qu’il est le meilleur, et quand il perd, on dira qu’il manque encore quelque chose, il y a eu cette campagne qualificative qui rendra service à tout le monde, et en Coupe du monde, on jugera chacun pour son potentiel.

- A part en 1986 où vous aviez atteint les demi-finales, et les Mondiaux 1990, 1994 et 2002 où vous avez passé le premier tour, en 1998 et dans le reste des participations c’était toujours les sorties au premier tour, pensez-vous que cette année sera la bonne pour effectuer un parcours honorable ?

- C’est vrai, mais autant que 1990 et 1994, on méritait d’aller plus loin. En 1990, on a été sortis par l’Angleterre sur ce but lors des prolongations en dominant tout le match et en ayant deux balles sur la transversale, je pense que celui qui méritait de passer, c’était nous, il faut de la chance. Vous savez, la Belgique n’est pas une grande nation, et nous sommes peu favorisés par les arbitres. En 1986, on a joué l’Argentine, il nous a sifflé deux hors jeu inexistants, on peut penser que les grandes nations sont favorisées. A mon avis, en 1990 et 1994, on aurait pu aller très loin.

- Courtois est-il le digne successeur de Michel Preudhomme dans la cage des Diables rouges ?

- C’est le top, c’est le top, c’est le top.

- On parle de lui au Barça, ça l’aidera peut-être à passer à un autre palier, une équipe comme ça ?

- Je ne sais pas, mais je pense qu’il est en train de bien gérer son ascension, il n’est pas obsédé par un transfert vers un très grand club, il est bien entouré aussi, son père le conseille très bien, donc pour le moment, il a une ascension incroyable, je pense qu’il peut jouer au Barça, je suis sûr qu’après la Coupe du monde il sera encore plus fort.

- Si on vous dit Madjer, vous nous dites quoi ?

- C’est magnifique, c’est un mythe, tout le monde se rappelle de Madjer, c’est un joueur qui nous a fait vibrer, sa petite touche de créativité, sa technique, ses mouvements, il marque très facilement, Madjer, c’est comme on si on parlait de Crujff, des joueurs de cette trempe.

- Enzo Scifo sélectionneur de la Belgique, ça sera pour quand ?

- Moi ? Pour le moment, je ne pense pas qu’ils en ont besoin, car ils ont un très bon entraîneur, et tant qu’il sera bon comme en ce moment, il y sera pour encore 10 ans, maintenant, en football, du jour au lendemain, on peut être contesté, c’est ça ce métier, mais mon ambition reste tout de même d’entraîner l’équipe nationale, ça, c’est sûr.

- Peut-être même l’Algérie…

- Pourquoi pas, bien sûr, bien sûr.

- Pour conclure, quel est votre pronostic dan ce groupe H, qui ira en 1/8 de finale ?

- Pour moi, ça sera la Belgique et la Russie, tout le monde le dit, c’est une question de résultats, et je vous jure, quand moi je vous donne un résultat, c’est qu’il est objectif, c’est surtout avec beaucoup de respect pour les adversaires, car on ne gagne pas un match, avant de l’avoir joué, mais je pense tout de même que l’Algérie reste un adversaire difficile.

S. M. A.

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