Ramadhan : les Verts ont décidé de jeûner

Existe-t-il des aménagements possibles pour les joueurs algériens tous musulmans et pratiquants ?

C'est le dilemme des camarades de Sofiane Feghouli : doivent-ils respecter le mois de Ramadhan, l’un des cinq piliers de l'Islam, qui débute ce week-end, ou s'abstenir ? Existe-t-il des aménagements possibles pour les joueurs ? Les avis divergent.

Le jeûne devrait concerner peu de joueurs encore en lice dans la Coupe du monde. Les joueurs de la sélection algérienne, tous musulmans, sont concernés, mais aussi, dans une moindre mesure, les Nigérians, et bien sûr plusieurs joueurs "isolés", notamment en France (Benzema, Pogba, Sissoko ou Sagna notamment), en Allemagne (Khedira et Ozil) ou en Suisse (Shakiri), Belgique (Chadli).

 

Reporter ?

En tant que «voyageurs», les joueurs algériens bénéficient en principe du droit de reporter le mois de Ramadhan à une période ultérieure. Selon le site d'actualité musulmane «Saphirnews.com», «bien que les plus performants devraient rester dans ce pays plus d'un mois jusqu'à la finale, ils peuvent toujours être considérés comme des voyageurs du fait des déplacements répétés dans différents stades du pays au cours de la compétition».

Cette solution est souvent adoptée par les individus isolés des équipes où les autres confessions sont majoritaires. Le Belge Nacer Chadli, cité par "Foot01.com", a ainsi expliqué qu’il était "hors de question de suivre le Ramadhan pendant les entraînements et les matches".

Et s'ils ne peuvent (ou veulent) reporter leur jeûne, le site Al-Kanz.org évoque une possible «compensation», "comme l’indique un verset coranique (sourate 2, verset 184). Cette compensation (fidiya) consiste à nourrir deux pauvres par jour où le jeûne n’a pas été observé."

 

S'abstenir ?

D'autres joueurs, comme le milieu de terrain allemand Mesut Özil, ont choisi de ne pas observer le Ramadhan en cette année de Mondial.

« Je travaille et je vais continuer à le faire", a-t-il expliqué. "Donc, je ne ferai pas le Ramadhan car je travaille. C'est impossible pour moi de le faire cette année.» De son côté, le sélectionneur de l'équipe de France Didier Deschamps a expliqué mercredi qu'il n'avait "rien à ordonner" à ses joueurs de confession musulmane.

«Je n'ai rien à ordonner. On respecte la religion de tout le monde. Les joueurs ont l'habitude, ce n'est pas aujourd'hui que l'on découvre la situation. Je n'ai aucune inquiétude et chacun s'adaptera à la situation.», dit-il.

Prendre le «risque» de jeûner ?

Au Brésil, quelques joueurs devraient néanmoins observer au jour près le calendrier du jeûne, à l'image des joueurs de l'équipe d'Algérie qui ont quasiment tous prévu de le faire. Avec les dangers afférents.

«Ça me paraît très compliqué de respecter strictement le Ramadhan pendant une Coupe du monde", estime ainsi Claude Leroy, qui a lui-même, par le passé, accompagné les internationaux de la sélection d'Oman pendant un Ramadhan.

« Pour les matches à 13 heures ou à 17 heures, comment voulez-vous faire ? Surtout pour l'hydratation... C'est impossible et même dangereux", juge Claude Leroy, qui suit cette année le Mondial comme consultant de Radio France.

Hakim Chalabi (medecin FIFA engagé par la FAF) : «Cela peut être une source de motivation»

Pour cette Coupe du monde, les Algériens ont engagé à leurs côtés le Dr Hakim Chalabi, ancien médecin du PSG devenu, grâce à ses travaux réalisés à la clinique Aspetar de Doha au Qatar, l'un des référents de la FIFA sur le sujet du jeûne chez les footballeurs, avec le Dr Yacin Zerguini, également membre de la Commission médicale de la FIFA. A ce propos, il dira : «C'est une période où le risque de blessures augmente, notamment au niveau des lombaires, des articulations et des muscles", indique Hakim Chalabi. Essentiellement d'ailleurs en raison de la déshydratation et non de l'absence d'alimentation. » «On nous demandait souvent d'inciter les joueurs à ne pas observer le jeûne, mais curieusement, il y a des sportifs qui ont de meilleurs résultats pendant le Ramadhan parce que le jeûne est désiré. Cela peut même devenir une aide spirituelle et psychologique. » 

 

 

Dr Zerguini : «Le niveau de nutrition doit changer»

« Le niveau de nutrition doit changer. Il faut aussi modifier la qualité des aliments, afin de s'adapter à l'exercice. Les joueurs doivent mieux s'hydrater. Nous leur conseillons en outre d'allonger la durée de leur sieste pendant l'après-midi, afin de récupérer une partie de leur temps de sommeil.»

 

Bougherra : «Je pense que je vais le faire»

Des conseils validés par l'expérience de Madjid Bougherra, capitaine de la sélection algérienne : «Le plus dur, c'est l'hydratation. Mais ça va, le climat est bon. Certains joueurs peuvent reporter leurs jours. A titre personnel, je vais voir en fonction de mon état physique, mais je pense le faire.»

Une fois les précautions médicales respectées, le jeûne s'avère parfois source d'inspiration ou de motivation pour les joueurs. Les performances de certains joueurs «s'améliorent encore pendant le jeûne », note le Dr Yacine Zerguini, qui reconnaît qu'il ne faut pas «chercher les réponses à ces questions dans le fonctionnement du métabolisme humain». «C'est plus mental. Souvent, il faut montrer aux entraîneurs qui ne sont pas d'accord qu'on est là à 200%», explique en effet Madjid Bougherra. «J'ai pu être un peu boycotté à cause de ça, on était trois ou quatre musulmans à l'entraînement mais on était toujours les premiers en tests physiques. On s'en sortait sans problème.»

 

Faut-il une fatwa pour les Verts ?

Faut-il une fatwa pour que les Verts puissent surseoir à l’accomplissement de l’obligation du jeûne durant la compétition ? Avant le match entre l’Algérie et la Russie et alors que la question relevait encore de l’hypothèse, les religieux algériens ont émis des avis divergents. Il y a ceux, à l’image de cheikh Mohamed Mekerkeb, de l’Association des oulémas, qui considère qu’un match de football, quel que soit son importance, n’est qu’un «jeu» et n’est donc pas éligible pour faire partie des cas de dispense du jeûne durant le Ramadhan.

«Il n'est pas licite pour les joueurs algériens de rompre le jeûne pour un jeu. » Il a même suggéré aux joueurs de «faire le jeûne car Dieu est avec les jeûneurs ». Le cheikh ne se contente pas d'émettre un avis de type religieux en déclarant que les jeunes «peuvent jouer et faire le jeûne en même temps».

Aucune comparaison n'est possible, estime cheikh Mkerkeb, avec la dispense permise à ceux qui sont en voyage de rompre le jeûne. Intraitable, le cheikh affirme que cela ne concerne que ceux qui voyagent pour des «raisons de santé, pour le djihad ou pour la quête du savoir ».

La représentation d'un pays dans une compétition mondiale n'entre pas dans cette catégorie, car le cheikh insiste, c'est un «jeu» et "Dieu ne leur a pas imposé la charge de jouer aux gens pour qu'ils en fassent argument pour ne pas jeûner ».

 

Divergences des imams et choix personnel

Mkerkeb est appuyé par Djeloul Hdjimi de la Coordination des imams qui estime qu'il revient à la FIFA de changer les règles et de permettre de faire les matches en nocturne quand la Coupe du monde coïncide avec le Ramadhan. Il conseille aux joueurs de faire le jeûne car actuellement «le temps est frais et les journées courtes au Brésil » Tous deux répondaient à des avis émis par d’autres religieux allant dans le sens de l’autorisation de suspendre le jeûne durant le match. C’est le cas de Cheikh Mohamed Cherif Kaher, président de la commission des Fatwas du Haut Conseil Islamique (HCI) avait ainsi estimé que les joueurs engagés pouvaient s'abstenir de jeûner. Cheikh Maâmoun El-Quassimi, également membre du HCI, est également dans la même lecture. Il précise que les «joueurs doivent rester dans l'intention (nia) de faire le jeûne jusqu'à ce qu'ils commencent à jouer durant le Ramadhan, ils peuvent dans ces conditions rompre le jeûne. » En clair, un joueur remplaçant doit faire le jeûne jusqu'à ce que l’entraîneur décide de le faire entrer dans le match. Ces divergences entre les imams ne sont pas une surprise car ils abordent des réalités imprévues par la tradition et où l’interprétation est de mise. Une règle de bon sens fait qu’en l’absence d’un consensus des religieux, le libre-arbitre des gens est de mise. La divergence des imams ne permettant pas d’édicter une règle, c’est le "choix personnel " qui prime.

 

Feghouli, Ghoulam et Brahimi : les plus piétistes

Certes, des joueurs, très piétistes, à l’image de Sofiane Feghouli, Faouzi Ghoulam, Mohamed-Amine Zemmamouche ou autres Yacine Brahimi font valoir que faire le jeûne a une influence positive sur le "mental". Mais peuvent-ils ignorer la réalité de l’incidence du jeûne sur leurs capacités physiques et leurs performances.

 

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