Medjani : «La CAN : on n’est pas favoris, mais outsiders»

Très discret depuis le début des éliminatoires de la CAN 2015, Carl Medjani nous avait fait savoir qu’il s’interdirait de toute déclaration avant la qualification des Verts. A présent que l’Algérie est qualifiée, et comme il nous l’avait promis, le défenseur de notre équipe nationale nous a livré hier une longue interview où il répond à toutes nos questions : Trabzonspor, Vahid Halilhodzic, Ebola, ainsi que les chances des Verts lors de la prochaine CAN. Entretien avec un Medjani qui répond comme à son habitude sans langue de bois et en toute franchise.

D’abord, on va parler de votre club le Trabzonspor, on peut dire que ça ne marche pas très fort avec une seule victoire en huit matchs et une 12e place.

Je dirais qu’il y a un nouveau groupe au niveau de cette équipe avec un grand nombre de changements qui ont eu lieu à l’intersaison (effectif, staff et coach). Près de 15 joueurs ont été recrutés par le coach Vahid et ce n’est pas facile donc de construire une équipe en deux mois et de faire des résultats dans l’immédiat. Il faut un temps d’adaptation, d’autant plus que le championnat turc est d’un bon niveau que ce soit sur le plan technique ou physique. Il va nous falloir un peu de temps pour trouver notre cohésion et des automatismes qui nous permettront de gagner des matchs et de sortir de cette période délicate.

Vous avez gagné un match, mais vous en avez perdu un seul aussi, un problème d’efficacité ?

A un moment donné, c’était notre souci, car la réussite nous a fait défaut, même si nous avons de très bons attaquants, mais bon, comme ce week-end, nous avons réussi à mettre 4 buts mais nous en avons pris 4 aussi. Donc il y a encore des réglages à trouver au niveau de la défense et aussi dans la transition entre la défense et l’attaque. Sans oublier que dans le championnat turc, l’équipe n’a le droit qu’à 5 étrangers sur le terrain, ce qui n’est pas le cas de l’Europa League. Donc jusque-là, on a rarement vu une équipe capable d’enchaîner les matchs.

Une seule victoire lors de la 6e journée dont Belkalem et vous-même étiez à l’origine avec un but chacun…

Il est vrai qu’en ce moment on est plutôt en réussite avec Essaïd. Il a marqué la semaine dernière suite à une passe décisive de ma part, moi j’ai marqué en même temps que lui lors de la 6e journée. On est contents de pouvoir aider notre équipe, car il ne faut pas oublier aussi qu’Essaïd et moi-même devons faire nos preuves du fait qu’on est venus avec le coach. On doit aussi se faire accepter en tant que coéquipiers et joueurs de cette équipe de Trabzonspor, ce qui est la meilleure façon de pouvoir le faire.

Qu’est-ce qui s’est passé lors du précédent match, car on croit savoir qu’une partie du public vous a sifflé et suite à cela vous avez été remplacé à la 56’ de jeu ?

Et bien non, les supporters ont sifflé toute l’équipe et tous les joueurs les uns après les autres. Pour ce qui est de mon changement, c’est tout simplement parce qu’il y a eu un autre étranger qui est rentré à ma place. On perdait sur le score de trois buts à un et les deux seuls joueurs qui pouvaient sortir à ce moment-là étaient Essaïd ou moi-même. Si Essaïd était sorti, il n’y aurait plus eu de défenseur central, alors que mon changement a permis au coach de réaménager le milieu de terrain.    

On croit savoir qu’un grand nombre de supporters souhaiteraient vous voir évoluer dans l’axe et non au milieu…

Je pense que tout le monde sait que le coach aime m’utiliser dans ce poste avec un rôle beaucoup plus défensif. Ma mission c’est d’aider la charnière centrale et bloquer les contre-attaques adverses, mais aussi être le premier relanceur de l’équipe. Après il est clair que mes qualités de joueur ne consistent pas à faire le jeu. Donc en occupant ce poste, il faut s’attendre à ce que j’ai un rôle défensif et non offensif. 

Finalement, c’est quoi l’objectif de Trabzonspor cette saison ?

L’objectif était de titiller au maximum les équipes du haut du tableau et pourquoi pas se qualifier une nouvelle fois pour l’Europe. Maintenant on est un peu mal partis, il va falloir se reprendre rapidement, mais bon le championnat est encore long et nous n’avons pas encore dit notre dernier mot.

Pourquoi le choix de Trabzonspor, la présence de Vahid ?

D’abord parce que c’est la meilleure proposition que j’ai pu avoir. Ensuite,  il y a bien sûr le fait que le coach et le staff était sur place, sans oublier que Trabzonspor fait partie des trois, voire quatre meilleures équipes en Turquie. Donc pour moi c’était un projet assez intéressant avec à la clé une participation en Europa League, une compétition que j’ai pu découvrir cette saison.    

Vahid Halilhodzic avec qui vous avez passé trois ans en sélection, c’est quoi la différence de travailler avec lui au quotidien ?

(Il sourit). Il n’y a pas de différence. C’est exactement pareil, sauf que les contraintes qu’on pouvait avoir en sélection sur des courts passages ou des courts séjours, ici on les a au quotidien. On connaît le coach, on sait qu’il est méticuleux, perfectionniste et travailleur, donc on a des journées qui sont bien remplies et des entraînements bien chargés. C’est une façon de travailler qui lui est propre, mais qui lui a réussi dans le passé et j’espère qu’il aura ici la même réussite qu’on a pu avoir en sélection, car c’est un club qui en vaut la peine avec des supporters qui sont tout le temps derrière l’équipe.

S’intéresse-t-il toujours aux Verts en vous posant des questions sur les matchs, les performances ?

Non, je dirais qu’il est plutôt discret par rapport à cela du fait qu’il est pleinement concentré dans la mission de Trabzospor. Il nous arrive certes d’en parler de temps en temps, mais sans trop rentrer dans les détails. On évoque quelquefois l’époque qu’on a pu vivre ensemble. Par contre, on discute beaucoup plus de l’EN avec Ceryl Moine, Sandy Guichard et Michael Boli…

Et vous parlez de quoi exactement ?

Ils nous parlent de tout : du nouveau fonctionnement, comment vont les joueurs ? Ils suivent les performances de chacun de nous et regardent nos matchs. D’ailleurs avant les rencontres, ils nous envoient des SMS et nous demandent à chaque fois de passer le bonjour à tout le monde. Ils sont restés vraiment très attachés à l’EN, alors que le coach, lui, est beaucoup plus discret et distant par rapport à cela et ça se comprend car il a beaucoup de respect par rapport au staff en place.

Vous évoluez au milieu avec votre club et dans l’axe en EN, ceci ne vous pose pas de soucis ?

Personnellement cela ne me pose aucun problème, dans le sens où j’ai alterné entre les deux postes pendant pas mal de temps, que ce soit en club ou en sélection. Après il est vrai que je me suis plus stabilisé au milieu de terrain en sélection avec le coach Vahid. Maintenant jouer dans l’axe est mon poste de prédilection. Il faut savoir aussi que mes bases tactiques, c’est Gourcuff qui me les a apprises car c’est avec lui que j’ai commencé au FC Lorient, donc je sais exactement ce qu’il demande et ce dont il attend d’un défenseur central. Pour l’instant ça s’est plutôt bien passé, maintenant c’est à moi de me réadapter quand je retrouve la sélection, et pour cela je dispose de cinq ou six jours pour retrouver mes marques.

Quatre matchs, quatre victoires avec les Verts, le but à présent c’est de faire un sans-faute ?

Le but c’était déjà de se qualifier pour la CAN le plus rapidement possible. A présent, c’est chose faite, maintenant tout joueur de foot joue pour gagner et si on peut gagner les six matchs on ne se privera pas. Mais le plus important c’est de continuer dans la spirale positive déjà établie, parfaire les automatismes, même si je ne connais pas les plans du coach pour les deux prochains matchs. Est-ce qu’il fera tourner ou continuer avec la même  ossature ? Ça on le verra lors du prochain stage. Aussi garder cet état d’esprit irréprochable que ce soit sur le terrain ou en dehors et surtout bien préparer cette coupe d’Afrique qui j’espère sera meilleure que l’édition précédente.

Face au Malawi, il y a des buts mais aussi de beau jeu, pensez-vous que le système de jeu de Gourcuff est à présent mis en place ?

Je dirais que ça commence à se mettre en place car si on regarde les matchs, on remarque qu’il y a eu une nette progression de l’équipe que ce soit sur le plan tactique ou technique. Même pour ce qui est de la fraîcheur physique, face au Malawi, je pense qu’on a été bons. Après et sans manquer de respect à l’équipe du Malawi et les qualités que peuvent avoir ses joueurs, ce n’était pas non plus un adversaire très fort, donc il faut quand même relativiser cette performance même si on s’est fait plaisir et qu’on a pu faire plaisir à nos supporters. 

Face au Malawi à l’aller, encore une paire inédite que vous avez constituée avec Halliche, et ça a plutôt bien marché ?

Ce fut la première fois que j’évoluais dans l’axe auprès de Rafik. Cela s’est bien passé parce que d’abord Rafik est un très bon joueur, quelqu’un de très intelligent avec qui je m’entends très bien, même dans la vie de tous les jours, et donc malgré le fait qu’on n’ait pas eu à jouer en défense centrale ensemble, on a souvent évolué ensemble sur le terrain, il connaît mes qualités et je connais les siennes et on s’est bien complétés sur ces deux matchs. Maintenant que ce soit avec Rafik, Essaïd ou Madjid, on est tous là pour s’entraider quel que soit celui qui sera sur le terrain.

La liste des préconvoqués a été publiée, trois nouveaux noms : Bounedjah, Abeid et Kashi, les connaissez-vous ?

Je les connais de par leurs noms et les joueurs qu’ils sont pour les avoir vus à la télé. Maintenant je connais un peu plus Abeid du fait qu’il jouait au Panathinaïkos, et qu’on s’était croisés une fois à Athènes où nous avions pu discuter pendant une demi-heure. Abeid, qui avait participé à plusieurs stages avec l’équipe olympique, avait vraiment envie de nous rejoindre. Il est pétri de qualités, sauf qu’il appartient à un club (Newcastle) où il n’est pas facile de gagner sa place. Donc j’espère que ces trois joueurs poursuivront leur belle progression, et s’ils sont amenés à nous rejoindre, ils nous apporteront le plus que tout le monde attend d’eux.

 

Le 19 novembre prochain, l’Algérie jouera le Mali à Bamako, une victime du virus d’Ebola a été relevé cette semaine, d’abord cette épidémie vous y pensez ?

Bien sûr qu’on y pense, car c’est quand même quelque chose d’assez important qui a causé des pertes humaines considérables en Afrique, donc on est forcément concernés par ce qui se passe. On suit aussi de loin toute l’évolution de ce virus, et on sait qu’il existe des dispositions prises afin de prendre les meilleures décisions possibles, et pour cela on fait entièrement confiance à notre président de la fédération et aux instances concernées.

Sincèrement, avez-vous peur de partir au Mali le 17 novembre prochain ?

Non pas du tout, pour la simple raison que je sais pertinemment que les autorités africaines ne prendront aucun risque si elles venaient à penser qu’il y aurait le moindre risque de contamination. D’ailleurs, on a pu voir qu’il y avait plusieurs matchs qui avaient été délocalisés notamment en Guinée, donc je pense que des mesures seront prises si elles devaient être prises, donc on fait entièrement confiance aux autorités.

La CAF prendra sa décision quant à la requête du Maroc pour le report de la CAN 2015 le 3 novembre prochain, vous en penserait quoi si la CAN venait à la reporter ou à la délocaliser ?

Moi, personnellement, ça m’est égal dans le sens ou qu’elle soit reportée au mois de juin prochain ou au mois de janvier 2016, il faudra y trouver du positif. Un report nous laissera par exemple plus de temps pour parfaire nos automatismes et construire une meilleure équipe. Dans le cas où elle sera délocalisée, on fera avec. Maintenant nous les joueurs, ce qui nous faisait plaisir c’est que c’est une CAN prévue au Maroc, un pays frontalier et on sait que nos supporters viendraient en masse pour nous soutenir. Donc, si elle est délocalisée, c’est le seul regret que j’aurais. En fait, j’aimerais qu’elle ait lieu dans un pays où tous les amoureux de l’EN pourront venir nous encourager, mais ce n’est pas quelque chose en soi qui changera beaucoup de choses. Nous les joueurs sommes là pour nous adapter à toutes les situations et à tous les soucis, d’ailleurs nous avons très bien joué deux CAN successives en 2012 et en 2013. On sera tributaires de la décision de la CAF et on devra s’adapter quoi qu’il arrive.

Quand vous entendez les Algériens rêver de ce trophée lors de la prochaine CAN, vous leur donnez raison avec cette 15e place au classement FIFA ?

Personnellement, je ne suis pas d’accord avec cela car ce n’est pas facile de gagner une compétition comme la CAN. Certes, on est une équipe d’avenir mais ce groupe n’est pas encore arrivé à la plénitude de ses moyens. Il faut être prudent. Moi, je pars du principe qu’il faut être ambitieux tout en restant mesuré pour ne pas vendre du rêve pour qu’ensuite les Algériens soient déçus. Il ne faut pas oublier aussi qu’il y a un an on s’est fait sortir au premier tour, entre- temps on a certes réalisé un bon parcours en Coupe du monde mais on est encore en construction. Donc, dire qu’on est un prétendant et un favori au titre, je ne suis pas d’accord, on se considère plus comme un outsider capable d’embêter les habitués de ce grand rendez-vous comme le Nigeria, le Ghana ou la Côte d’Ivoire qui ont plus de vécu que nous.

Brahimi vient d’être élu meilleur joueur africain de la Liga, vous en pensez quoi ?

Pour moi c’est tout à fait logique et je suis très content pour lui et très fier de pouvoir évoluer à ses côtés en EN. C’est un joueur pétri de qualités que ce soit sur le plan humain ou sur le plan footballistique et je lui souhaite toute la réussite du monde et que Porto ne soit qu’un tremplin pour un autre grand club.

L’ESS s’apprête à jouer une finale retour de Ligue des champions d’Afrique, un mot à dire à ce sujet ?

Déjà ils ont réussi à faire 2 à 2 à Kinshasa. En marquant deux buts à l’extérieur, ils se sont mis dans une position favorable. Maintenant, l’ESS a certes l’avantage, mais il reste encore une deuxième manche, et il va falloir qu’ils sortent encore un grand match pour remporter ce titre. Je leur souhaite donc incha Allah plein de réussite, et en tant qu’Algérien je serai de tout cœur avec eux et j’espère que la coupe restera en Algérie et que le drapeau algérien se hissera très haut à travers eux sur le continent africain.

Asma H. A.

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