On pouvait croire que c’était juste pour narguer le voisin le temps d’un match, sauf qu’au terme de celui-ci, pas mal de gens du coin ont savouré l’élimination des Algériens. La question qui se posait, dès lors, était de savoir si cette hostilité soudaine avait des fondements profonds, auquel cas il faudrait peut-être craindre une escalade lors de la prochaine confrontation algéro-marocaine, chez nous cette fois-ci. Sommes-nous dans une situation qui tend à faire des Marocains les successeurs des Egyptiens ? Rien ne le laisse supposer de manière définitive, pour le moment, mais il est des signes qui ne trompent pas et qui, comme souvent, donnent des indications sur une situation en voie de dégénérer, qui pointe le bout du nez et que l’on ne souhaite pas voir à l’avenir.
On ne se justifie pas quand on n’a rien à se reprocher
Lorsque l’on a sollicité des journalistes marocains pour avoir leur avis sur le sujet, la tendance était à l’apaisement, comme on pouvait s’y attendre, avec le souci manifeste de vouloir minimiser les faits en les réduisant à une minorité ne représentant qu’elle-même. On a quand même perçu comme un reflexe de vouloir rapidement justifier pour éteindre le feu et vite évacuer les soupçons. On ne se justifie pas quand on n’a rien à se reprocher… Un de nos interlocuteurs a même glissé une phrase significative traduisant le fond d’une pensée noyée au milieu d’un flot de mots apaisants. «Je crains pour la suite» ; son propos sonne dans l’oreille telle une sévère mise en garde contre un scénario qui n’est guère exclu à l’avenir. Surtout qu’un autre fait similaire s’est produit à Marrakech. Ainsi, au Grand-Stade de Marrakech, les Marocains ont une nouvelle fois encouragé l’adversaire. Cela est survenu durant la séance fatidique des tris au but lorsque, tout d’un coup, l’arène s’est rangée du côté des Australiens de Western Sydney Wanderers FC.
A Marrakech, ce sont les Argentins qui ont soutenu l’ES Sétif
Il faut dire que ce n’était nullement le cas durant le temps réglementaire de la rencontre où les Marocains ont applaudi les Sétifiens, qu’ils ont soutenus jusqu’à l’égalisation avant de prendre l’avantage au score ensuite. Les choses paraissaient rentrer dans l’ordre, donnant l’air d’un incident isolé, d’un petit coup bas fomenté par quelques énergumènes de Rabat. Mais comme on dit souvent, chassez le naturel, il revient au galop, l’hostilité envers les Algériens de l’Entente s’est une nouvelle fois manifestée au-delà des 90 minutes. On s’est rendu compte que les encouragements entendus auparavant venaient en vérité des supporters argentins de San Lorenzo, tombés sous le charme des Algériens, probablement depuis le parcours exceptionnel des Verts l’été passé au Brésil. Retour à la case prison.
Faut-il craindre la réciprocité ?
Faut-il condamner les Marocains et leur appliquer la règle de la réciprocité qui a déjà envenimé les relations entre les deux pays, au plus haut sommet des deux Etats ? Les peuples ne réagissent pas toujours comme leurs gouvernants, c’est connu. Malheureusement, les supporters sont imprévisibles, c’est aussi connu. La prochaine fois qu’Algériens et Marocains s’affronteront sur un terrain de football, on verra de quelle bataille il s’agira…
H. D.
Paroles de journalistes marocains
Khalil Benmouya (Libération) : «On n’a senti aucune hostilité envers les Algériens»
«On n’a à aucun moment senti une hostilité envers l’équipe algérienne de Sétif. Au contraire, le public marocain a toujours exprimé son soutien aux équipes algériennes qui ont évolué sur les stades marocains. Bonne chance et bon courage pour Sétif et pour l’équipe d’Algérie durant la CAN 2015.»
Fouad El Hannaoui (Stadium et Radio Médi 1) : «Faut pas y accorder de l’importance»
«Je crois qu’il ne faut pas accorder une grande importance à ces comportements qui émanent souvent d’un public ignorant, qui fait l’amalgame entre la politique et le sport. Je suis sûr que celui qui siffle l’équipe de Sétif va l’encourager si elle joue contre une autre équipe africaine. D’ailleurs, vous pouvez prendre la dernière Coupe du monde comme modèle, le quasi-totalité du peuple marocain était derrière l’équipe algérienne.»
Amine El Amri (Le Matin du Sahara) : «Rivalité sportive oblige…»
«La Coupe du monde des clubs est un événement qui cherche encore à se faire une place parmi les grands tournois de football. Cependant, l’importance qu’il a pour les clubs non européens nous gratifie chaque fois d’histoires qui restent dans les annales. Rivalité sportive oblige, les supporters marocains, surtout ceux de Rabat, ont encouragé Auckland City contre Sétif, mais sans y mettre de mauvaises intentions, à mon avis. De toute façon, ce Mondialito est une expérience unique, que j’aimerais vraiment revivre le plus vite possible.»
Toufik Senhaji (L10.MA) : «Ce qu’on a entendu est intolérable»
«Ce qu’on a entendu de la part des supporters marocains est intolérable, mais cela ne reflète pas la réalité du vrai peuple marocain, qui aime beaucoup le peuple algérien. Je crois que cela était plus valable lors du premier match. Je pense qu’il ne faut pas donner une grande importance à ce sujet, vu que c’était juste un petit nombre de spectateurs, qui ne sont d’ailleurs pas encadrés. Il ne faut pas oublier aussi que toutes les équipes marocaines ont leurs propres supporters souvent tous très importants, bien organisés et encadrés à travers des ultras. Jamais nous n’avons perçu de la haine au niveau de la plupart de ces supporters et envers qui que ce soit dans le monde arabe. C’est dû au bon encadrement dans lequel ils évoluent.»
Youssef Chafi (Elbotola.com) : «Je crains la suite»
«Je ne crois pas que le public marocain, en général, songe à soutenir les adversaires des équipes algériennes. Je peux vous assurer que c’est tout le contraire qui prévaut. Les deux peuples s’aiment, Dieu merci. J’en veux pour preuve l’attitude des Marocains lors du Mondial 2014, tous ont été avec l’Algérie. J’ai personnellement encouragé l’Algérie au Brésil, j’y étais. Pendant ce temps, nos parents, nos familles soutenaient également la sélection algérienne, comme s’il s’agissait du Maroc. Ce qui s’est passé à Rabat est le fait d’une minorité. Cela dit, je crains pour la suite, même si je suis d’avis à dire que le peuple algérien peut faire la part des choses et montrer un degré de conscience élevé. On est des frères, éloignés de la politique.»