Compétition avait déjà parlé de l’intention de Karouf, Doudane et Hamenad de jeter l’éponge lorsque l’équipe était en stage à Gammarth, mais parce que les trois enfants de la JSK ne voulaient pas perturber la sérénité du groupe en plein préparation, et aussi par souci de tenir leur engagement vis-à-vis du président Hannachi et surtout des joueurs que Doudane a personnellement convaincu de venir porter le maillot de la JSK, il ont décidé, après concertation d’annoncer leur démission à la fin du stage. Si Karouf et Hamenad ne se sont pas encore prononcés clairement à ce sujet, Karim Doudane, lui, est passé à l’action. Il a mis ses menaces à exécution.
Sans argent, sans médecin et sans soutien
Doudane quitte la JSK après seulement cinq mois de travail. Cinq mois durant lesquels il a largement contribué à sauver la JSK d’une relégation qui semblait quasi certaine, assuré un recrutement judicieux, à la mesure des moyens mis à sa disposition et enfin, réussi deux stages de préparation sans qu’aucun incident ne se produise entre les joueurs, avec le staff ou les dirigeants. Doudane, en chef de délégation dit avoir réussi, avec l’aide des joueurs et le staff, à gérer une situation qu’il a qualifiée «d’impossible». Sans frais de mission, sans médecin et surtout sans aucun signe de vie des dirigeants et du président qui se trouvait en France pour régler des affaires personnelles, le stage dans son ensemble s’est relativement bien déroulé. La question qui se pose maintenant est la suivante : aurait-il mieux fait d’attendre le retour de Hannachi de France pour s’expliquer avec lui avant de prendre cette décision radicale, ou bien alors, Doudane a fait le bon choix en se retirant maintenant et laisser sa place propre, exactement comme il l’avait fait en 2010 lorsqu’il a mené l’équipe en demi-finale de la Champions League africaine ? Les fans kabyles peuvent ne pas être d’accord sur ce point, mais la chose pour laquelle ils sont tous unanimes c’est que le départ de Doudane est une perte pour la JSK, une grosse même.
Même pas de quoi se payer un café !
Dans l’entretien qu’il nous a accordé hier en début d’après-midi, Karim Doudane nous dira qu’il en a eu marre de faire face à des problèmes qui sortent de ses compétences. L’absence du médecin du club lors du second stage est une chose intolérable, selon lui. «Quelles que soient les raisons, la JSK, ni aucun club d’ailleurs, ne peut faire un stage sans médecin. Il y va de la santé des athlètes. Nous avons eu la blessure de Seddiki, qui était assez grave (luxation de l’épaule), il y a eu aussi l’otite de Messaoudi, les blessures de Rial, Malo et Ziti, sans compter les petits bobos…», nous dira Doudane sous un air exclamatif. «J’ai dû payer de ma poche les frais médicaux de Messaoudi et Seddiki», ajoute-t-il. Le manager de la JSK, parle aussi d’anomalies qu’il dit ne pas comprendre, comme le fait que la direction n’ait pas donné des frais de mission aux joueurs, ou de l’absence totale et non justifiée des dirigeants. «Personne n’a cherché après nous. Même pas au téléphone ! Qu’aurait coûté un appel pour demander si on ne manquait de rien et si tout allait bien pour nous… Le président n’était pas là, d’accord, et les autres dirigeants ? Il y a bien des gens qui siègent aux assemblés et qui prennent des décisions concernant le club, non ?», nous dira Doudane. On signalera à ce propos que les joueurs de la JSK qui n’ont pas prévu de prendre de l’argent avec eux n’avaient même pas de quoi se payer un café à l’hôtel ou recharger du crédit sur leur téléphone pour appeler leur famille. D’ailleurs, c’est faute d’argent qu’ils ont choisi de rester à la piscine de l’hôtel lorsque Karouf leur a donné quartier libre. Par ailleurs, la chose qui a fait le plus mal à Karouf était de ne trouver personne à l’accueil à l’aéroport. «Et plus grave, aucun dirigeant n’est venu à notre accueil, alors qu’avant, il y avait toujours le président ou des dirigeants pour accueillir l’équipe, question de rassurer et de faire sentir aux joueurs que la direction veille au grain. C’est comme ça qu’on remercie les gens qui travaillent et qui se sacrifient pour le club»
Il a refusé de rendre des comptes à Azlef et Chioukh
Avant de s’envoler en France, Mohand Cherif Hannachi a laissé les clés du club à Chioukh Khelifa, membre du CSA et maire de la commune d’Irdjen et le nouveau membre du conseil d’administration, devenu depuis quelque temps le bras droit du président, le promoteur immobilier Malik Azlef en l’occurrence. Ces deux personnes ont convoqué ou invité Doudane et le staff technique à une réunion de travail avec comme principal objet de demander des explications à ces derniers sur les menaces de démission, les résultats en matchs amicaux, ainsi qu’un compte rendu et un bilan des deux stages. Si Karouf a ignoré complètement Azlef et Chioukh en allant directement à Béjaïa rejoindre sa famille, Karim Doudane, «par principe» dit-il, a refusé de leur rendre des comptes. «Ma discussion avec Azlef a duré 3 minutes, c’était d’ordre personnel», explique Doudane. Ce dernier, qui voulait attendre le retour de Hannachi pour lui annoncer sa démission en a eu marre, surtout que le premier responsable kabyle ne l’a pas appelé pour le rassurer ou, au moins, comme le dit Doudane, «pour lui demander de ne rien faire avant son retour de France». Touché dans son amour-propre et submergé par un sentiment d’ingratitude et d’ignorance de la part des responsables kabyles, Karim Doudane a décidé de quitter son poste. Une décision qu’il dit irrévocable.
A. B.
Doudane vide son sac
Comment allez-vous après les deux longs stages effectués en Tunisie ?
Je ne vous mens pas, je suis exténué. J’ai sacrifié mes vacances, ma famille, mes affaires pour me consacrer à la JSK. Aujourd’hui et malgré ces deux jours de repos, je me sens toujours fatigué, moralement et physiquement, je suis à plat.
Pourquoi moralement ?
Je suis un perfectionniste, un professionnel et je ne peux travailler avec des gens qui n’ont pas ces deux critères. Je ne fais jamais dans le bricolage et l’amateurisme. Certains peuvent le faire, moi non. On a fait de notre mieux pour réussir ces deux stages. On s’est sacrifiés vraiment pour bien démarrer la saison. Tout le monde, joueurs et différents staffs, ont été à la hauteur des attentes des supporters et des amoureux du club, malheureusement d’autres n’ont pas suivi. On a fait face à des anomalies que je n’arrive pas encore à expliquer. Des difficultés insurmontables… Je suis déçu, extrêmement déçu.
Vous parlez des dirigeants ?
Oui, de quelques-uns en particulier. Je ne veux pas citer des noms de risque de créer des polémiques à une semaine du match du CSC, mais ce que je vais dire en revanche, c’est qu’un club comme la JSK et un groupe comme celui que nous avons méritent un peu plus de considération et de respect de la part de ceux qui dirigent le club.
Vous pouvez être plus explicite ?
Trouvez vous normal qu’un club de la trempe de la JSK aille en stage à l’étranger sans médecin ? Aucun club ni catégorie ne doit faire ça ! Quelles ques soient les raisons qui ont fait que Djadjoua ne se déplace pas avec nous, les dirigeants se devaient de trouver une solution. Il y va de la santé de chacun. On a eu des blessés, Seddiki, Malo, Messaoudi, Ziti, Rial pour ne citer que ceux-là avaient grand besoin d’un médecin… Et ce n’est qu’un détail ! On est allé en stage sans argent. Les joueurs n’ont pas eu droit à des frais de mission, il a fallu que je paye de ma poche les soins de Seddiki et Messaoudi… mais ce qui est encore plus attristant c’est l’ignorance totale des dirigeants. On dirait qu’ils ne sont pas concernés ! Aucun appel, aucune ne visite, rien ! On était livrés à nous-mêmes. On parle de la JSK !
On voit que vous avez le cœur gros…
Bien sûr ! J’ai accepté une mission-suicide. Je suis revenu pour servir mon club et aider à le faire sortir de la m… Si la JSK était descendu en L2, qu’adviendrait de moi, de Karouf et des autres qui se sont sacrifiés pour la JSK ? Je n’ai pas tourné le dos à la JSK et je ne le ferai jamais. J’ai travaillé honnêtement et gratuitement pour le club et ses supporters, je n’ai jamais demandé quelque chose mais là, c’en est trop.
Vous confirmez donc l’information vous donnant démissionnaire ?
Oui, je démissionne. C’est une décision irrévocable. Je ne peux pas travailler dans de telles conditions. Je m’en vais la conscience tranquille.
Avez-vous transmis votre démission au président ?
Je n’ai pas besoin de le faire par écrit. Mon contrat n’a jamais été transmis à la Ligue.
Et pour vos arriérés, vous avez quand même travaillé 5 mois à la JSK ?
Je ne suis pas revenu pour un salaire mais pour servir la JSK.
Vous avez rencontré Azlef hier, pourquoi ?
Je tiens d’abord à préciser que ma rencontre avec Malik Azlef n’a pas duré plus de 3 minutes et c’était d’ordre strictement personnel. J’avais un différend avec lui, je voulais clarifier la situation avec lui avant de partir. Je suis un enfant de bonne famille, je n’aime pas les incompréhensions et les malentendus.
Ce n’était donc pas pour présenter votre bilan ou pour lui rendre des comptes ?
Moi rendre des comptes à Azlef ! Pourquoi ? Excepté le président, je ne rends compte à personne. Et puis, Azlef n’est pas technicien, et moi je ne suis pas l’entraîneur. Si les choses se sont passées comme prévu, j’aurais bien sûr fait un rapport sur le stage, un bilan détaillé sur l’organisation à Hannachi, mais comme ce n’est pas le cas…
Pourquoi ne pas attendre Hannachi pour discuter avec lui et décider ensuite de ce que vous devez faire ?
Je suis à bout, je n’en peux plus. Et puis un rendez-vous avec Hannachi aurait changé quoi ? Rien du tout. Je pars en laissant ma place propre. De toute façon l’équipe est prête pour le début du championnat. Je souhaite bon chance à tout le monde, moi, je me casse.
Et si le président vous demandait de rester ?
Ma décision est prise. J’ai l’impression de revivre le même scénario qu’en 2010. On avait fait un excellent travail, atteint les ½ finales de la Champions League avant que certains ne détruisent tout.
On a le sentiment que vous regrettez votre décision de revenir travailler à la JSK
Je ne travaille pas à la JSK, je suis à son service. Je n’ai jamais considéré ceci comme un travail. Pour répondre à votre question, je vous dis, jamais. Le club avait besoin de moi, j’ai répondu présent. Je pense avoir fait mon travail honnêtement, on a sauvé l’équipe d’une relégation qui aurait été historique, donc, non, je ne regrette pas. Je suis même fier de ma décision et de ce que j’ai fait.
Certains vont penser que vous avez abandonné l’équipe…
Après tout ce que je viens de vous dire ! Non je ne pense pas. Peut-être que ceci va faire bouger les choses dans le bons sens.
C'est-à-dire ?
Je souhaite de tout cœur voir le club entre de bonnes mains, quelqu’un qui pourra en prendre soin, car la JSK, avec son poids, son histoire, son palmarès a besoin de gros moyens, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.
On vous laisse le soin de conclure, dites ce que vous voulez…
Je remercie les gens qui me soutiennent et qui me demandent de rester. J’appelle les supporters de la JSK à rester auprès de l’équipe, la soutenir. On a un bon groupe, il a besoin d’être mis en confiance, d’être soutenu… les dirigeants ne l’ont pas fait, au public de le faire.
A. B.
Il renonce à 5 mois de salaire
En démissionnant comme il l’a fait, Karim Doudane a renoncé à 5 mois de salaire. Pourtant, le désormais ex-manager général de la JSK avait tous les documents pour exiger d’être payé, mais l’enfant de Tizi Ouzou a préféré éviter un bras de fer avec Hannachi. «Je vous l’ai dit, je suis au service du club et non un employé du club.»