Entretien croisé réalisé par : AMIROUCHE BOUDJEDOU
Pouvez-vous nous expliquer ce qu’est le FAF Radar et comment il fonctionne… ?
Karim Idir : Avant de répondre à votre question, je pense qu’il faudra évoquer la naissance de cette structure, la première du genre au niveau de la fédération algérienne de football. En effet, après plusieurs approches, il a été décidé de mettre en place une réelle structure qui n’est autre qu’un démembrement de la Direction technique nationale (DTN) de la FAF. Cela s’est fait en mars dernier et le travail a déjà débuté avec des avancées très appréciables. Le FAF Radar a pour objectif de renforcer le niveau des sélections algériennes des jeunes et améliorer les résultats dans les compétitions. C'est une véritable passerelle entre nos talents de la diaspora et la FAF.
Comment le contact a été établi avec la fédération ?
Karim Idir : Nous avons commencé à échanger il y a plus d’un an à l’occasion des rencontres économiques sur le marché du sport dans le monde arabe, organisées par l’Institut du Monde Arabe à Paris où la FAF y était présente. A partir de là, les contacts se sont noués. Par la suite, nous avons réalisé plusieurs séquences d’échanges et de travail en présence de Monsieur Kheireddine Zetchi président de la Fédération, et avec Monsieur Chafik Ameur Directeur Technique National (et avec les sélectionneurs et techniciens concernés) pour arriver au lancement de l’opération au mois de mars.
Comment est organisé le FAF Radar ?
Karim Idir : En fait, la cellule est composée de profils différents, avec les compétences complémentaires indispensables à la bonne conduite de cette opération inédite et ambitieuse. Au-delà de notre passion commune pour le football et de la fierté de participer au développement de cette discipline dans notre pays, nous sommes tous portés par la volonté de réussir dans cette mission. Lyès Brahimi et moi pilotons le dispositif. Et nous déployons notre action avec Malik Chekaoui et Foued Kadahounet.
Et comment procédez-vous ?
Lyès Brahimi : Nous avons décliné un plan d’action croisé auprès des joueurs et des clubs :
- Auprès des joueurs : il s’agit du travail de repérage et de suivi actif des profils sélectionnables à travers la base de données FAF Radar, de leur sensibilisation à l’importance et au privilège d’être appelé en sélection nationale dès les catégories jeunes, de la préparation et l’accompagnement des joueurs sélectionnés lors des regroupements en Algérie. En fonction de l’évolution de la crise sanitaire et de ses effets sur la mobilité internationale nous prévoyons même l’organisation d’actions dédiées (regroupements locaux, matches amicaux…) entre la DTN et les joueurs sélectionnés.
- Auprès des clubs : il convient d’établir un lien durable et régulier avec les clubs et les centres de formation concernés (échanges et rencontres avec les directeurs sportifs et directeurs de la formation) pour assurer un suivi constant de l’évolution des joueurs concernés (outils statistiques et veille informationnelle).
Vous couvrez toute la France, comment vous faites ? Avez-vous des antennes, des collaborateurs, un logiciel de travail…?
Karim Idir : Oui, nous avons développé un instrument de veille spécifique : une base de données active qui permet de qualifier et hiérarchiser les informations terrains et données techniques et statistiques de chaque joueur identifié.
Pouvez-vous être plus explicite ?
Karim Idir : Nous utilisons les méthodes dites d’intelligence sportive et nous nous appuyons sur un réseau composé de relais dans l’ensemble des régions de l’Hexagone, dans les clubs et en dehors. Les techniciens binationaux sont très nombreux en France et à l’étranger, et ils ont la fibre nationale. L’objectif est de permettre aux sélectionneurs de s’appuyer sur des données fiables et sécurisées avec des indicateurs de performance actualisés, pour faciliter leur prise de décision et sélectionner les meilleurs talents, à n’importe quel moment de la saison.
Vous n’êtes pas présents sur les réseaux sociaux, pourquoi ?
Karim Idir : Dans notre plan d’action, nous ne jugeons pas opportun aujourd’hui d’utiliser ces supports pour diffuser de l’information. Mais cela ne signifie pas que nous n’avons pas mis en place une veille sur ces réseaux ciblant l’ensemble des acteurs (joueurs, clubs, centres de formation, ligues, fédérations, sélections…). Il est important de rester discret dans notre approche, pour deux raisons : préserver la position des jeunes joueurs dans leur club et ne pas fournir d’informations à la concurrence. Nous avons déterminé un planning de visites et visionnages que nous affinons au fur et à mesure des réceptions et des calendriers des compétitions.
Votre travail se termine-t-il une fois le dossier est entre les mains de la DTN, ou vous continuez à suivre et à conseiller ces joueurs ?
Lyès Brahimi : Un des intérêts principaux de cette démarche est la continuité : il est important de garder un contact régulier avec les joueurs et assurer une veille continue de l’ensemble des joueurs concernés. Les joueurs doivent savoir qu’avec la DTN nous observons l’évolution et les performances de chacun d’entre eux. Nous suivons ainsi les joueurs dans leurs clubs et veillons à préparer au mieux leur passage en sélection.
Selon la FAF, vous avez déjà convaincu 10 U16 de jouer pour l’Algérie, peut-on en savoir plus ?
Lyès Brahimi : Effectivement, la démarche a commencé par cette catégorie qui devait participer au Tournoi de Montaigu avec au menu un match d’ouverture contre l’équipe de France. Mais comme vous le savez, le tournoi a été annulé à cause de la crise sanitaire mondiale. L’ensemble des joueurs concernés étaient fiers et très motivés à l’idée de rejoindre la sélection et découvrir Sidi Moussa à l’occasion du premier regroupement qui y était programmé. Nous avons même initié une opération d’évaluation mentale de l’ensemble des joueurs pour mieux les connaître, faciliter leur intégration et gagner du temps dans la prise en main de l’effectif par le staff de la sélection.
Depuis, y a-t-il eu d’autres joueurs ?
Lyès Brahimi : Bien entendu, nous continuons notre travail… Comme vous le savez, la situation des joueurs avec leur club va évoluer d’ici la reprise. Nous transmettrons à la DTN les informations actualisées de chacun de ces joueurs, mais aussi de nouveaux joueurs.
Vous travaillez sur une base de données de 140 binationaux et trinationaux, Que représente réellement ce chiffre ?
Lyès Brahimi : Depuis le dernier bilan, la base de données a évolué : aujourd’hui, elle ne compte pas moins de 153 joueurs. Et nous continuons en permanence de l’actualiser car la situation des joueurs a évolué en cette fin de saison et de nouveaux joueurs ont été repérés. En plus de cela, nous allons y intégrer les joueurs nés en 2005.
On imagine que votre travail est concentré dans des régions où la communauté algérienne est importante, comme Lyon, Paris ou Marseille…
Lyès Brahimi : En fait, nous sommes en contact avec des joueurs dans la quasi-totalité des clubs des Ligues 1 et 2. Quelques joueurs évoluent également dans de grands clubs étrangers. Nous avons même un regard dès le stade de la préformation, grâce à nos relais sur le terrain. Sur ce point, l’information et la sensibilisation ne doivent pas être négligées.
Jusque-là, la majorité des binationaux qui ont choisi l’Algérie sont soit attaquants soit milieux offensifs, qu’en est-il des vôtres ?
Lyès Brahimi : Les joueurs que nous avons approchés couvrent l’ensemble des postes dans toutes les zones de jeu, gardiens de but, défenseurs, milieux et attaquants, avec des profils de jeu hétérogènes, et des personnalités différentes.
De par votre expérience, est-ce vrai que l’acceptation des joueurs est motivée en grande partie par les parents ?
Karim Idir : Ce sont d’abord les joueurs eux-mêmes qui sont très attachés à leur pays d’origine et partagent avec leurs proches et entre eux ce sentiment de fierté d’être appelés en sélection nationale. Cependant, ce que vous dites est vrai, l’avis des parents compte… La plupart de ceux que nous avons rencontrés ont manifesté une grande fierté à l’idée que leur enfant soient suivi par la FAF. Certains nous ont même confié leurs histoires personnelles et leur attachement très fort à la patrie.
Selon nos informations, beaucoup de jeunes joueurs algéro-canadiens ont rejoint ces trois dernières années les centres de formation de grands clubs en Espagne, au Portugal et en Italie. Le FAF Radar prévoit-il de ratisser plus large en Europe ?
Lyès Brahimi : Nous avons choisi d’optimiser notre action et de fonctionner par étape. Pour cette première phase, nous concentrons principalement nos efforts sur le territoire français, qui rassemble en nombre la plus grande partie des talents algériens de l’étranger, même si nous n’excluons pas les jeunes joueurs qui évoluent dans d’autres pays. L’analyse de notre base de données nous permet même d’affirmer que la plupart des jeunes joueurs qui évoluent à l’étranger en dehors de la France ont commencé ou ont eu un passage en France. Nous avons été sensibilisés à la situation de joueurs évoluant en Belgique, en Angleterre, au Danemark, en Italie, en Suisse ou en Espagne par exemple… Bien entendu, ils sont intégrés à la base FAF Radar.
En matière de détection et de repérage, ou se situe l’Algérie par rapport à nos deux voisins de l’Est et de l’Ouest ?
Lyès Brahimi : Nous connaissons bien nos voisins et frères marocains et tunisiens. Nous nous respectons et avons l’habitude de travailler ensemble sur certains sujets en France. Nous savons qu’ils travaillent également dans l’intérêt de leur pays. Tout comme nous, ils sont attachés à leur pays et pour le coup nous sommes en concurrence parfois, dans le cas de certains joueurs dont l’un des parents est marocain ou tunisien. Mais désormais l’image de la FAF est très positive, la victoire de l’EN à la CAN a un impact très fort sur ces jeunes générations, d’autant plus qu’elle concrétise la réussite d’un modèle basé sur la réunion des talents et compétences de tous les Algériens.
Mais vous avez sûrement d’autres atouts à faire valoir…
Karim Idir : Heureusement, mais je dois dire que la stratégie pour laquelle a optée la FAF depuis l’arrivée du président Zetchi, à savoir la formation des jeunes et le développement, est une vision bien perçue par la diaspora et peut constituer une réelle passerelle entre les Algériens d’ici et d’ailleurs, non seulement dans le cadre sportif, mais aussi dans le transfert du savoir et du savoir-faire de nos compétences dans divers domaines liés au sport. Le football étant fédérateur et un vecteur de développement, la FAF s’est inscrite dans cette démarche que prônent déjà les autorités algériennes.
Si le FAF Radar existait depuis 4 ou 5 ans, pensiez-vous qu’un joueur comme Mbappé nous aurait rejoints ?
Karim Idir : Il est vrai que Mbappé est Algérien grâce à sa maman, c’est pour cela qu’il est si talentueux… Blague à part, c’est justement pour donner un message clair aux binationaux (ou tri-nationaux) que le FAF Radar a été mis en place. De notre côté, on s’attache plutôt à œuvrer pour que le prochain Mbappé intègre le plus tôt possible nos sélections jeunes.
Votre mission est sûrement plus difficile avec les joueurs surdoués, comme Mbappé et Benzema, qui sont sélectionnés chez les Bleuets dès leur jeune âge…
Karim Idir : Vous savez, le sujet des joueurs binationaux, notamment chez les jeunes, peut être sensible et susciter des querelles d’intérêts, mais notre démarche est saine car elle vise à valoriser tous les talents susceptibles d’être valorisés et limiter au maximum la déperdition de talents.
Merci pour toutes ces explications, on vous laisse le mot de la fin…
Lyès Brahimi : On espère incha Allah que la situation sanitaire va s’améliorer prochainement et permettre à la FAF d’organiser un premier regroupement à Sidi Moussa et apprécier la qualité de tous nos talents algériens.
A. B.