- M. Lippi, l’Argentin Dario Conca va quitter Guangzhou pour retourner à Fluminense, allez-vous recruter de nouveaux joueurs comme lui pour étoffer votre effectif ?
- Les nouveaux joueurs étrangers, qui intégreront l’équipe de Guangzhou, seront différents de Conca. Ils ne devront pas avoir les mêmes caractéristiques que lui pour la simple raison que je n’aime pas toujours évoluer avec le même style de jeu. Lorsqu’on procède de cette façon, on favorise l’intégration des nouvelles recrues qui, ainsi, n’auront pas à souffrir de la comparaison avec les anciennes stars de l’équipe. Conca parti, son remplaçant sera différent et on ne dira jamais du nouveau venu : Conca était meilleur, plus fort… Guangzhou achètera donc des joueurs qui n’auront pas le même style que Conca. Je procédais déjà de la même manière déjà quand j’étais l’entraîneur de la Juventus. Je peux vous citer un exemple à ce propos.
- On est tout ouïe…
- Quand je suis revenu à la Juventus, au début du nouveau siècle, M. Agnelli, le boss de la Juve, est venu me parler pour me dire : «J’ai une mauvaise nouvelle à t’annoncer, on doit vendre Zidane au Real Madrid ! Peux-tu me dire qui pourra le remplacer et devenir le nouveau Zidane ?» Je lui ai répondu que je ne me soucierais jamais de trouver le nouveau Zidane parce que ça n’existe pas ! Je vais changer mon plan tactique. Par la suite, avec l’argent de la vente de Zidane, la Juventus a acheté Buffon, le gardien de but, Thuram, le défenseur, et Nedved, le milieu de terrain offensif. Bien sûr, ces nouveaux éléments évoluaient dans un registre totalement différent par rapport à Zidane. Nous avons gagné le Scudetto et nous sommes parvenus, encore une fois, en finale de la Ligue des champions.
- Guardiola a dit que s’il avait été l’entraîneur de Guangzhou, à votre place, il aurait sans doute perdu par plus de 3 à 0…
- C’est un bon compliment pour moi et pour tous les tacticiens de l’école italienne. Quand la différence entre deux adversaires est aussi grande que peut l’être celle entre le Bayern Munich et Guangzhou, l’école italienne se montre très réaliste, elle estime qu’il serait fou de se ruer vers l’attaque. Si on ouvre le jeu dans ces conditions, on risque facilement de perdre 6 à 0, 7 à 0 ou 8 à 0. Moi, je suis satisfait de notre match contre le Bayern de Guardiola. Nous avons perdu 3 à 0 et je pense que c’est un bon résultat pour la progression de Guangzhou.
- Pensez-vous que Muriqui et Elkeson, les deux joueurs brésiliens de Guangzhou, ont le niveau pour évoluer dans des équipes européennes ?
- Je pense que oui. Guangzhou a plein de joueurs qui peuvent évoluer en Europe. Il n’y a pas que Muriqui et Elkeson, mais également le Sud-Coréen Kim et le Chinois Linpeng. Bien sûr, il y a aussi l’Argentin Conca. Pour moi, ils sont quatre ou cinq joueurs de Guangzhou qui peuvent avoir leur place dans quelques équipes européennes.
- La saison prochaine, d’autres clubs chinois vont investir beaucoup d’argent pour concurrencer Guangzhou Evergrande. Qu’en dites-vous ?
- Je trouve cela normal. Quand j’avais en charge la Juventus, je disais chaque saison à mes joueurs : «Vous avez gagné le championnat, tout le monde voudra nous battre. Alors, il est normal que nos adversaires mettent plus d’argent, achètent plus de joueurs.» C’est juste la loi du sport.
- Souhaitez-vous être de nouveau au Maroc, l’an prochain, pour participer au Mondial des clubs ?
- Bien sûr, je souhaite revenir la saison prochaine au Maroc. Pour Guangzhou, c’est le début d’une grande histoire que le club veut écrire. On ne gagne pas à tous les coups, mais notre club est en train d’écrire les plus belles pages de son histoire.
- Cuca, le coach de l’Atlético Mineiro, va prendre lui aussi une équipe chinoise la saison prochaine, qu’en pensez-vous ?
- Il ne sera pas le premier entraîneur brésilien à faire son job en Chine. Les coaches sont d’ailleurs nombreux à venir travailler dans ce pays, ils ont différentes nationalités. C’est une bonne nouvelle parce que le football chinois grandira avec l’apport de tous ces techniciens venant de différentes écoles de football. C’est enrichissant. Je suis désolé pour Radomir Antic, qui avait en charge l’équipe chinoise de Shandong Luneng, il a fini second du championnat, il l’a payé de son poste, ce n’est pas de ma faute. Cuca le remplacera, j’espère que la saison prochaine je ne finirai pas deuxième, à mon tour…
- M. Lippi, pourquoi avez-vous pris la décision d’aller exercer votre métier en Chine ?
- En Italie, j’avais tout fait, j’avais tout gagné tant avec la sélection nationale qu’avec mon club, la Juventus. Je me sentais encore jeune pour tenter une expérience qui serait différente de ce que j’avais connu. Je dois avoir l’honnêteté de reconnaître que l’argent a compté dans mon choix. J’ai débarqué en Chine avec sept personnes composant mon staff. Nous avons été très bien reçus. Puis, peu à peu, les titres sont arrivés. Pour moi, la grande fierté a été d’abord de voir 5 000 supporters de Guangzhou avec le maillot rouge du club. Une année auparavant, cela semblait impossible. Cette saison a été particulièrement positive : nous avons remporté le championnat de Chine, perdu la coupe de Chine, gagné la Champions League d’Asie et nous sommes parvenus en demi-finales de la Coupe du monde des clubs. L’équipe est sur la bonne voie. Guangzhou a une grande école de football qui, en deux ans, a vu transiter 4,5 millions d’enfants. On a une académie pouvant accueillir 3 000 jeunes footballeurs avec leurs familles. L’académie a 83 terrains de football. Je suis le président d’honneur de l’école de football de Guangzhou. On a commencé avec 1 200 gosses, maintenant on en dénombre 2 300.
- M. Lippi, quel regard portez-vous sur le groupe de l’Algérie qui affrontera la Belgique, la Russie et la Corée du Sud au Brésil ? Pouvez-vous nous dire un mot sur chaque équipe ?
- C’est un groupe très difficile. D’abord, parce qu’il y a la Russie qui, à mon sens, sort du lot. C’est une équipe traditionnellement très forte. De plus, elle est dirigée par un entraîneur très réaliste qui aime les choses concrètes.
- Oui, votre compatriote Capello…
- C’est ça. Après, il y a la Belgique, c’est la révélation de l’année avec la Colombie. Ensuite, il y a la Corée du Sud que je connais. Dans mon équipe, il y a d’ailleurs un joueur qui évolue dans la sélection nationale sud-coréenne, à savoir Kim. La Corée du Sud possède une bonne équipe. Ce sera difficile pour l’Algérie. Au fait, qui est l’entraîneur de l’Algérie ?
- C’est Vahid Halilhodzic…
- Ah, je le connais, c’est mon ami ! Halilhodzic a été l’entraîneur du Raja Casablanca. A l’époque, il est venu jouer un match amical contre moi qui avais en charge la Juventus. Cela s’est passé à Cesena.
- Quel a été le résultat du match ?
- La Juventus a gagné 2 à 1. Je me rappelle aussi que Halilhodzic est venu voir mes entraînements. Pendant une semaine, à Torino, il a suivi tous les jours mon entraînement. C’est vraiment un ami. Saluez-le de ma part !
- S’il vous sollicite et vous demande des conseils pour battre Capello, vous lui refilerez quelques tuyaux ?
- Ce n’est pas possible. On ne peut pas procéder de la sorte, en fait. Aussi, il ne faut pas croire que tous les entraîneurs ont toutes les statistiques sur les équipes du monde.
- L’Algérie a déjà joué contre Capello lorsque celui-ci entraînait la sélection anglaise. Les deux pays se sont rencontrés lors du Mondial 2010, en Afrique du Sud, et le match s’est terminé sur le score vierge de 0 à 0…
- C’est une bonne habitude (Rires) ! Il ne faut pas se suffire du zéro à zéro, vous devez essayer de faire mieux et tenter d’obtenir un meilleur résultat la prochaine fois.
- Pour espérer passer le premier tour du Mondial brésilien, l’Algérie doit-elle jouer à l’italienne, c’est-à-dire opter pour la défensive et la contre-attaque ?
- Ce serait une erreur. Laissez-moi vous dire d’abord que le jeu à l’italienne n’existe plus. Vous savez, j’ai joué une demi-finale de Coupe du monde, en l’occurrence, Italie-Allemagne du Mondial 2006, j’ai aligné quatre attaquants et nous avons gagné 2 buts à 0. Je n’ai pas joué à l’italienne. Alors, vous devez changer votre demande et la formuler autrement (Rires).
- Que connaissez-vous du football algérien ?
- Pas beaucoup de choses, en fait. Je sais juste qu’un des plus grands footballeurs que j’ai connus s’appelle Zidane et qu’il est originaire d’Algérie.
- Vous devez sans doute connaître aussi Madjer, non ?
- Ah, oui, Madjer, je le connais. Je l’ai souvent au téléphone. On a gardé le contact et on s’appelle pour organiser des matches de bienfaisance ou des initiatives de ce type. Cela étant, ne m’en demandez pas plus sur l’Algérie car je n’en sais pas trop sur votre sélection nationale.
- Peut-être pourriez-vous nous dire un dernier mot sur Belfodil et Taïder qui opèrent à l’Inter de Milan ?
- Effectivement, je connais Belfodil et Taïder. La saison passée, Belfodil a réalisé de bonnes choses avec Parme. Maintenant, il est à l’Inter et je sais que dans les grosses équipes il y a des difficultés.
- Qui mérite le FIFA Ballon d’Or cette saison, selon vous ?
- Messi est sans doute le meilleur joueur de la planète. Il le montre tout le temps, il a notamment remporté les quatre derniers trophées. Mais cette année, Cristiano Ronaldo a été le meilleur. Certes, Franck Ribéry a gagné plusieurs titres importants avec le Bayern Munich, mais Cristiano s’est presque toujours montré au top, il a inscrit beaucoup de buts et, si cela ne dépendait que de moi, je donnerai le FIFA Ballon d’Or à Cristiano Ronaldo.
- Que pensez-vous du Barça de Tata Martino ?
- Avec lui, le FC Barcelone se porte très bien. J’aime beaucoup Tata, j’ai joué contre lui en quarts de finale de la Coupe du monde, en 2010, en Afrique du Sud. Il avait en charge la sélection du Paraguay et moi celle de mon pays, l’Italie (NDLR, Paraguay 0 - Italie 1). Je sais que les joueurs sont heureux avec lui, ils le montrent bien sur le terrain en jouant merveilleusement bien.
- On dit que le Barça de ces dernières années est la meilleure équipe de l’histoire du FC Barcelone. Pep Guardiola en a-t-il été le meilleur entraîneur ?
- Oui, c’est le cas. Le Barça de la dernière décennie est sans aucun doute le meilleur de toute l’histoire du club catalan et Pep en a été, sans le moindre doute aussi, le meilleur entraîneur.
- Est-ce que les joueurs du Barça ont baissé de niveau par rapport à ce qu’on leur a connu avec Guardiola ?
- Les joueurs du FC Barcelone ont gagné beaucoup de choses, toutes les saisons ils amassaient les titres. Une fois, ils ont raflé tous les trophées possibles en une saison. De mon point de vue, il n’existe qu’une seule personne capable de reproduire cela avec deux équipes différentes : c’est Pep Guardiola ! Il l’a fait avec le Barça, il est en mesure de le refaire maintenant avec le Bayern Munich. Ce qui m’a le plus impressionné chez Pep, c’est quand j’ai appris que, tout jeune coach qu’il était, il n’a pas eu froid aux yeux et est allé voir Laporta, l’ex-président du Barça, pour lui dire : «Je veux prendre en charge l’équipe première !» Il était très ambitieux à l’époque, déjà.
- Et Mourinho ?
- C’est un autre genre d’entraîneurs. Il a énormément travaillé et appris auprès de grands techniciens. Il a notamment saisi beaucoup de choses avec Robson quand celui-ci était l’entraîneur du Barça et Mourinho juste son traducteur. José a une grande passion du football, il a appris beaucoup.
- Ancelotti ?
- C’est un gagneur. Il a gagné dans toutes les équipes qu’il a entraînées. Je pense que dans deux ou trois ans, il gagnera tout ce que Madrid peut gagner. Sur le plan psychologique, il est très bon, son groupe en tire un énorme bénéfice. Carlo Ancelotti tire toujours le meilleur de ses joueurs, et ces derniers donnent toujours le meilleur pour Carlo.
- Zidane ?
- J’aime le fait de le voir aux côtés d’Ancelotti. J’ai de très bonnes relations avec Zinedine Zidane, on est souvent en contact. On sait tous ce qui est arrivé lors de la finale de la Coupe du monde en Allemagne, en 2006. L’année dernière, on a passé les vacances ensemble à Ibiza, en Espagne. La chose qui m’a le plus impressionné chez lui : durant tout le séjour, Zidane ne m’a pas parlé une seule fois de Materazzi. Et je ne lui pas ai parlé une seule fois aussi du sujet. Respect !
- Pourquoi Camacho n’a pas réussi en tant que sélectionneur de Chine ?
- Je l’ignore, je ne peux pas parler de choses que je ne maîtrise pas. Cela étant, je crois qu’il est difficile d’effectuer une bonne transition d’une équipe de club à une sélection nationale. Ce n’est pas toujours évident.
- Un mot sur Tito Villanova ?
- Il a écrit une belle page de l’histoire du Barça. Tout était parfait jusqu’au jour où le monstre appelé cancer l’a frappé de plein fouet. Dans ce cas, vous ne pouvez plus faire grand-chose si ce n’est de prier et d’attendre des jours meilleurs.
- Ces derniers jours, Gattuso est sujet d’une grosse accusation. On dit qu’il travaille avec la mafia et a versé dans les matches truqués. Quel est votre avis, vous qui connaissez bien l’homme et le joueur ?
- Effectivement, je connais très bien Gennaro Gattuso. Je le connais si bien que je suis prêt à mettre les deux mains sur le feu et dire qu’il n’a absolument rien à voir avec tout ça ! Gattuso est propre.
- Quels sont vos favoris pour la Coupe du monde au Brésil ?
- Bien évidemment, le Brésil est favori parce qu’il organise le tournoi et évoluera donc devant ses supporters. Il y a aussi l’Espagne, l’Allemagne, la Hollande, l’Italie et l’Argentine. Toutes ces équipes peuvent remporter le Mondial au Brésil.
H. D.
- «La Russie de Capello sort du lot, la Belgique est la révélation de l’année»
- «Halilhodzic a suivi mes entraînements à la Juventus»
- «J’ai passé des vacances avec Zidane à Ibiza, pas une fois il ne m’a parlé de Materazzi. Respect !»
- «Messi est le meilleur, mais, cette saison, Ronaldo mérite le FIFA Ballon d’Or»
- «Gattuso n’a rien à voir avec la mafia, je mets mes 2 mains sur le feu»
- «Dans 2 ou 3 ans, Ancelotti gagnera tout avec Madrid»
- «Ce qu’a fait le Barça, seul Guardiola peut le refaire dans un autre club»
- «J’avais tout gagné en Italie, je suis parti vivre autre chose en Chine»
- «La Corée du Sud a une bonne équipe»
- «Le Brésil, l’Espagne, l’Allemagne, la Hollande, l’Italie et l’Argentine sont mes favoris au Mondial»