CM 2014 : Wilmots le coach, mais aussi l’homme

Hier, dans la première partie de l’entretien exclusif que nous a accordé Marc Wilmots, il nous a surtout parlé du match de l’Algérie et de la préparation de son équipe d’ici l’été prochain. Aujourd’hui, on vous propose de découvrir Wilmots l’homme, mais aussi le coach. Il évoque sa façon de travailler avec les Diables rouges, mais aussi les choses qui l’ont marqué et qui l’ont déçu, comme son expérience en tant que sénateur. Appréciez.

- Comment expliquez-vous ce paradoxe entre une génération talentueuse et un niveau du championnat local très faible ?

- Que voulez-vous que je réponde à cela. Si je dois dire ce que je pense, je vais me faire beaucoup d’ennemis, alors je préfère ne rien dire et me concentrer sur l’équipe nationale. Pour le reste, en ce qui concerne le championnat local, ce n’est pas pour moi.

- Il y a aussi des joueurs qui ont été formés en France, aux Pays-Bas…

- Ce que je peux dire, c’est qu’on n’a pas fait la formation, beaucoup de gens disent qu’on a fait la formation, mais c’est faux. Il y a eu de bons centres, le centre du Standard, de Genk… Maintenant, il y a des centres de quelques grands clubs qui enchaînent comme Anderlecht. Il y a une philosophie mise en place, et c’est bien. Par exemple, c’est grâce au travail du Standard et de Genk que nous avons les Courtois, Felaini, Dufour. Ces derniers ont pris des risques en partant très tôt, et c’est ça le plus qu’ils ramènent en équipe nationale.

- Justement, comment faites-vous pour gérer toutes ces stars ?

- Je n’ai pas de problèmes par rapport à ça, je l’ai été avant eux. J’ai cet avantage, je me suis qualifié avant eux avec à la clé des Coupes du monde, eux ils n’ont aucune pour l’instant. Il y a une méthode de travail, beaucoup de cœur et du respect. Si on a ça, tout ira bien. Je leur dis souvent aussi quand la lumière s’éteint, vous risquez de tomber de haut, donc il vaut mieux rester modeste et travailler.

- Contrairement à la majorité des équipes nationales dans le monde, l’EN de Belgique n’a pas de centre propre à elle…

- Non, et ça ne me dérange pas de voir les joueurs dans des hôtels et rencontrer des gens lors des rassemblements. D’ailleurs, quand j’ai pris la sélection, j’ai ramené une nouvelle philosophie, à savoir que tous les entraînements sont ouverts, je dis bien tous. L’équipe nationale ne m’appartient pas, elle appartient au peuple et les jeunes viennent voir leurs joueurs. Pour moi, c’est normal...

- Même quand vous préparez un grand rendez-vous ?

- Prenons un exemple. La mise en place tactique face à la Côté d’Ivoire, je n’ai que deux jours, que voulez-vous que je fasse pendant deux jours. Les joueurs arrivent lundi, alors qu’ils ont joué dimanche. Mardi, c’est un entraînement plus physique, et puis, le lendemain, on a le match. Franchement, ce n’est pas en fermant qu’on va gagner le match. Si je travaillais dans un club peut-être, mais j’ai en main une équipe nationale. Ils savent comment je suis et comment je fonctionne. On vit normalement, il ne faut pas les enfermer. Il ne faut pas qu’il y ait non plus 15 000 supporters fanatiques dans notre lieu d’hébergement. A l’hôtel, nous disposons d’un étage et on a un service de sécurité, on a nos habitudes et on est très bien là-bas.

- On croit savoir que vous ne donnez jamais l’équipe, même pas des indices ?

- D’habitude, et comme partout, il y a des copains et les journalistes avaient l’équipe avant les matchs, mais plus maintenant. Pour garder les joueurs concentrés, je ne laisse plus rien sortir, il n’y a que moi qui sais quelle équipe va rentrer et je ne le dis même pas à mon adjoint. Le jour du match, j’arrive, je lui dis fais-moi ton équipe et je fais mon équipe, après on en discute. Imaginez que je le dis un jour avant le match, et qu’un joueur tombe malade, comment faire ? Je compte sur tout le monde et c’est souvent arrivé que mon banc fasse la différence comme Mirallas et Mertens. Le joueur se dit ainsi, le coach me fait confiance.

- Votre favori pour la Coupe du monde ?

- Bien sûr, le Brésil sera le favori, car il est chez lui, il a les qualités pour gagner cette Coupe du monde. Il y a aussi l’Espagne, l’Allemagne, habituée à être dans le dernier carré. Une équipe comme l’Italie aussi qui a une façon spécifique de se préparer et d’arriver dans le dernier carré. Il y a des équipes de Coupe du monde. Pour ce qui est de mon équipe, je regarde ce que j’ai comme qualités. D’ailleurs, mon système préféré est le 4-4-2, mais je ne peux pas l’appliquer, car je fais avec mes joueurs. Pour l’instant, notre système, c’est le 4-3-3.

- Vous étiez joueur, consultant, mais aussi sénateur, vous avez ce besoin. Vous ressentez ce besoin de découvrir d’autres horizons ?

- Tout ce que je fais, c’est par passion et curiosité. En plus, à un moment, on n’a plus le choix. Quand on arrête sa carrière à 34 ans et que les articulations ne répondent plus, il faut changer. Pour la politique, j’aime aller dans ce que je connais, le sport, la famille et les jeunes. C’est important d’offrir à ces derniers un bel avenir. J’étais très passionné pour faire ça. On a fait un travail de recherche, mais après deux ans, je n’ai rien vu venir. J’étais déçu par la lenteur du système, en plus, on a voulu me mettre les bâtons dans les roues. Je n’étais pas là pour être ministre des sports, mais pour aider les jeunes, et j’ai vu que ce n’était pas possible. Du coup, j’avais deux solutions : soit je restais pour gagner ma vie, soit je faisais autre chose…

- D’ailleurs, vous aviez déposé votre démission, une demande qui vous a été refusé, alors vous avez demandé de ne plus être payé ?

- C’est exact, car je n’étais pas rentré pour gagner de l’argent, mais comme on avait refusé ma requête, j’ai décidé de donner mes salaires de sénateur à des associations caritatives. Il y avait de superbes choses à faire et je suis toujours intéressé pour le faire. Il y avait un jeune sur 4 qui était obèse. Les familles n’étaient plus ensemble, les enfants livrés à eux-mêmes. C’était une prévention à long terme. C’est le système qui n’est pas bien fait, car il est trop pervers et j’ai fini par comprendre ce système.

- Ce but refusé face au Brésil en 1/8e de finale, vous y pensez toujours ?

- Pas du tout, mais les gens me le rappellent tout le temps. Ce fut mon dernier match, car j’avais annoncé que j’arrêtais. Lors de cette Coupe du monde, j’ai joué les deux derniers matchs avec les ménisques bloqués et je n’avais plus de force. Cela a été un fait de jeu où je retiens la bagarre avec l’arbitre et, d’ailleurs, j’ai gagné le procès.

- Comment se fait-il que vous gagniez un procès contre un arbitre ?

- Ce que je ne savais pas, c’est que les règlements de la FIFA interdisaient à un arbitre de reconnaître qu’il s’était trompé, alors que lui, à la mi-temps, il m’avait dit qu’il avait commis une erreur. Je suis sorti en conférence de presse en disant qu’on avait été conquérants en montrant un bon visage de notre football, une belle image de notre pays. J’avais dit aussi que l’arbitre avait reconnu avoir fait une erreur et qu’une faute avouée est à moitié pardonnée. Par la suite, alors que j’étais en vacances à Bordeaux, je reçois une lettre de la FIFA qui me dit que l’arbitre a dit qu’il n’avait pas commis de fautes et que j’étais un menteur...

- Et alors ?

- J’ai envoyé ma réponse en exigeant des dommages et intérêts. La FIFA m’a donné raison. Mais malheureusement, l’arbitre a continué à arbitrer.

- Pour le Ballon d’Or de cette année, vous n’avez voté ni Messi ni Ronaldo, vous n’aimez pas ?

- Non, pas du tout, mais je trouve que ce qu’a fait Zlatan partout où il est passé est assez monstrueux. J’aime les attaquants comme Messi et Ronaldo qui changent le cours d’un match. J’aime aussi Lewandovski qui a fait de belles choses avec Dortmund. Si les deux étaient dans un encadrement semblable au Real ou à Barcelone, on aurait certainement parlé d’eux plus souvent…

- En troisième position, vous avez bien évidemment mis Eden Hazard, votre joueur ?

- Eden avec Chelsea, je le vois bien réaliser de superbes choses. Je voulais lui montrer que je croyais en lui.

- Vous êtes connus pour être un grand communicateur. D’ailleurs, juste après (Ndlr : entretien réalisé mercredi dernier), vous recevrez nos confrères russes et anglais ?

- Je suis un ambassadeur de mon pays, c’est pour ça que lorsqu’il y a des gens d’autres pays qui viennent, je me dois de les recevoir. Je ferme de temps en temps, mais je n’ai rien à cacher. On a mis en place une équipe que je veux près du peuple. Vous faites votre boulot et je fais le mien. Je crois que c’est normal que des Anglais et des Allemands viennent, car beaucoup de joueurs jouent chez eux.

- Pas de passe-droit pour la presse locale. Tout le monde est égal…

- Effectivement, pas de privilèges. C’est simple, je me concentre sur mes priorités, mon staff et mes joueurs. Les médias sont supporters, ils supportent, puis donnent leurs avis, et moi, je les accepte sans aucun problème.

- Vous avez même fait une visite guidée de votre camp de base au Brésil…

- Au Brésil, les supporters seront loin, ils doivent savoir où on sera. J’ai un jeune dans la cellule de communication qui s’occupe du Twitter de l’équipe nationale, du coup, je peux réagir dans le cas où une fausse information circule. On a tout fait pour mettre les supporters au courant sur le comment on va travailler.

- Dans une interview datant de 25 ans déjà, vous disiez que vous ne seriez jamais entraîneur. Pourquoi avoir dit cela ?

- C’est un truc difficile. La différence quand on est joueur, c’est que tu peux faire la différence. Par contre, quand tu es entraîneur, tu dois attendre que les joueurs le fassent. C’est un métier difficile et j’ai la passion de mon métier. Finalement, j’ai fait sénateur, puis j’ai passé mes diplômes, j’aurais pu être directeur sportif, ça me colle à la peau de construire une équipe.

- Vous disiez que vous êtes honnêtes…

- Un discours clair et correct, ça fait peut-être mal, mais c’est bien. J’essaye d’avoir le discours le plus clair possible, même si je sais qu’il y aura des joueurs déçus qui ne vont pas jouer, mais c’est ça le métier. J’ai éliminé des gens dans mon staff, car ils n’ont pas adopté ma façon. Moi, je cherche la perfection.

- Le souvenir qui vous a le plus marqués ?

- Voir mes enfants grandir, ils sont sportifs, être un papa à la maison est très important. C’est pour ça que je ne voulais plus être entraîneur. Je ne veux pas faire ma vie à moi et qu’on m’appelle un jour pour me dire que mon enfant se drogue, là j’aurais tout raté. L’éducation de mes enfants est la plus importante.

- Votre souvenir en tant qu’entraîneur ?

- C’est le fait que nos supporters présents en Ecosse aient applaudi l’hymne national adverse. J’avais la chair de poule.

- Pourquoi, ils sifflaient avant ?

- Oui.

- Vous savez, on a le même souci en Algérie…

- Dans le sport, on a aussi le rôle de montrer l’exemple. Les hymnes nationaux, ça se respecte. J’ai poussé une colère lors du match face à la France. J’ai fait venir un groupe de supporters et je leur ai demandé pourquoi, ils n’ont rien dit. Alors, j’ai dit, on va aller en Ecosse et on va donner l’exemple. On a donc applaudi l’hymne gallois, et si l’Algérie vient ici un jour, je veux qu’on en fasse de même. 

- C’est rare de voir un pays européen siffler l’hymne…

- C’était un derby, il y a de la rivalité. J’adore la France, je vis là-bas d’ailleurs. Il faut que ça reste du sport, ni plus ni moins.

- Quelle serait votre plus grande réussite ?

- Que mes enfants soient en bonne santé, qu’ils aient un bon travail, qu’ils puissent trouver quelque chose de bien qui leur convienne. Qu’ils soient heureux tout simplement.

A. H. A.

 

 

«Comment gérer ces stars, c’est tout simple, je l’ai été avant eux»

«Tous mes entraînements sont ouverts, car la sélection appartient au peuple»

«Je ne donne jamais le onze rentrant, même mon adjoint ne le connaît pas»

«Eden Hazard ira très très loin»

«Les médias, je sais exactement ce qu’ils veulent»

«Mon favori pour le titre, le Brésil»

«Mon expérience en tant que sénateur, très décevante»

«J’adore Ibrahimovic, il réalise des choses magnifiques»

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