Gourcuff : «Il fallait que j’opère en douceur »

De Lorient, où il passa tant d’années à Alger où il vit depuis quelques mois, Christian Gourcuff a changé de décor complètement, et de vie un peu. Si ces préceptes de toujours demeurent, ceux auxquels ils s’adressent n’ont que quelques jours pour les assimiler. Mais il faut croire que le message passe puisque l’Algérie (dans le groupe B avec le Mali, le Malawi et l’Ethiopie) et son nouveau sélectionneur se sont qualifiés pour la phase finale de la CAN.

C’est la première fois de son Histoire que l’Algérie est qualifiée pour la phase finale de la CAN après quatre journées. Etes-vous fier de cette performance ?

Non. Content. C’est quand même au départ un peu complexe. En sélection, les échéances vont très vite et on manque forcément de temps pour construire. Mais, dans ce nouveau challenge, c’est ça qui m’intéressait, cette urgence, cette capacité à gérer le court terme en même temps à installer des options techniques et tactiques à moyen terme.

 

De quelles conditions de travail bénéficiez-vous ?

Elles sont, pour l’Afrique, tout à fait exceptionnelles. On se déplace par avion privé; les cuisiniers arrivent avant avec leur staff pour prendre possession de l’hôtel et du restaurant. Rien n’est laissé au hasard. L’organisation de la Fédération elle-même, le staff, l’administration, la logistique, les infrastructures, notre centre d’entraînement très professionnel et très convivial… Tout cela aide à la qualité du travail. C’est un truc très appréciable et c’est du très haut niveau. Ça n’a rien à voir avec les conditions des autres sélections africaines.

 

Comment fonctionnez-vous avec cette sélection ?

Contrairement à certains autres sélectionneurs, qui passent l’essentiel de leur temps en Europe, moi j’habite ici. Par mois, j’y passe trois semaines au minimum. Je suis complètement plongé dans le développement du football algérien, avec notamment les rassemblements des joueurs locaux pour la sélection A’. Pour avoir un impact, il faut être au courant de toutes les composantes nationales. Je souhaite apporter mon expérience à la DTN et à la formation des cadres. J’ai aussi rencontré des entraîneurs français : Goavec (NDLR : MC El Eulma), Wallemme (USM Bel Abbès), Zvunka (démissionnaire du CR Belouizdad), Velud (USM Alger). C’est sympa et c’est important de montrer qu’on n’arrive pas simplement ici pour quelques jours.

 

Aviez-vous opté pour l’Algérie en pensant que le profit de ses joueurs pouvait coller de près au football que vous souhaitez toujours décliner ?

Il y a du vrai là-dedans. Mais l’image technique qu’on se fait des joueurs algériens date un peu. Je n’avais pas une connaissance très précise du football algérien actuel, mais cette sensibilité existe, c’est évident. La grosse inconnue, ce n’était pas le potentiel mais la discipline tactique.

 

Le style de jeu que vous prôniez à Lorient est-il difficile à mettre en place en sélection ?

A Lorient, j’ai construit des automatismes dans le temps, saison après saison. S’il n’est pas facile de durer, ce n’est pas facile non plus ponctuellement de faire travailler mes options. Mais mon expérience au Qatar (Al Gharrafa Doha en 2002-2003) m’est précieuse. Les automatismes de zone pour des joueurs habitués au marquage, c’est quasiment une révolution, même si j’ai des joueurs qui ont une vraie culture tactique et qui comprennent vite. C’était un challenge qui me plaisait aussi. Ce n’est pas évident au départ de trouver des automatismes, mais au fil de nos rencontres, il y a eu une nette évolution. Il a fallu opérer en douceur, surtout pour une équipe qui sortait d’une bonne Coupe du monde.

 

De quel accueil avez-vous bénéficié ?

J’ai reçu un accueil exceptionnel et ce n’est pas lié aux résultats. Il y a ici une spontanéité relationnelle qui est exceptionnelle, que ce soit dans la rue, à la Fédération et au niveau du groupe de joueurs. Je suis vraiment étonné par l’ambiance qui règne dans ce groupe.

 

Vu de France, on est inquiet pour votre sécurité vu les récents événements. Le comprenez-vous ?

Ma vie ici est complètement différente. Je suis sous contrôle en permanence. Tout est sécurisé et mes déplacements se font sous escorte, sous protection. La situation du pays et mon statut l’imposent. J’ai découvert que l’Algérie était un pays très marqué par les événements des années 1990. L’Occident n’a pas conscience de ce traumatisme. Les gens ont connu la violence et sont restés très vigilants par rapport à ça. Il existe ici un système sécuritaire très établi qui est parfois mal perçu mais qui est une nécessité.

 

Vous êtes-vous senti parfois en danger ?

C’est évident qu’il y a un risque comme partout. Il y a de la violence pour diverses raisons. Mais ici, au sujet de l’enlèvement et de l’assassinat du Français, on ne parle pas d’islamistes, mais de terroristes. Cette dénomination différente change le regard. C’est une erreur des Occidentaux de faire un amalgame. La culture musulmane est omniprésente, mais dans une tolérance qui ne correspond pas du tout à l’image véhiculée par des non-islamistes qui manipulent la religion. L’Algérie est tellement vaste qu’elle est difficilement contrôlable partout. Le risque zéro n’existe pas. Mais je me sens plus en sécurité ici en Algérie qu’en France dans certains quartiers chauds. C’est une évidence.

 

Il existe aussi pas mal de violence dans les stades…

Je ne peux pas juger les supporters. Il y a de tout, comme partout. On parle beaucoup de violence dans les stades. C’est un gros problème et c’est dommageable pour ce sport de ne voir le foot que par ce prisme. Un peu comme en France quand on ne l’évoque que par les ultras. Pas mal de raisons expliquent cette violence, malheureusement mise en évidence avec la mort d’Ebossé. C’est une question d’éducation, mais aussi d’infrastructures qui rendent des contrôles difficiles. Quand on arrive à un tel climat, ça fait fuir les amoureux du foot.

 

C’est vrai que vous avez observé le ramadan ?

Dit comme ça… je suis parti deux jours superviser le Bénin avec le vice-président de la Fédération. Comme lui faisait le jeûne, ça m’a paru logique de ne pas manger. Je l’ai fait par respect. C’est ce respect mutuel que je partage au quotidien et je n’ai aucun problème par rapport à ça. Il y a des moments pour la prière aussi et mon expérience au Qatar m’a bien aidé là encore. On est loin de l’image suspecte qu’on a parfois en France. Il y a beaucoup de respect dans mon entourage.

 

La L1 vous paraît bien loin ?

Pour des raisons différentes, je suis amené à regarder beaucoup de matches, notamment de L1, mais aussi de Premier League, de Liga, de série A et même du Qatar. Les joueurs évoluent dans tous ces championnats et ça fait partie de ma fonction.

 

La cicatrice lorientaise est-elle refermée ?

Mon départ a été très pensé, ce n’était pas une réaction d’humeur. Dans la vie, il faut être clair avec ce que l’on pense. Je l’ai été avec mes convictions. Dans ce milieu d’opportunistes, je suis fier de ne pas avoir cédé à ça.

 

Vous n’avez pas peur d’être un peu oublié ?

Pourquoi «oublier» ? Il ne faut pas croire que la France est le nombril du monde. Il y a du foot ailleurs aussi !

 

Des nouvelles de votre fils ?

Oui, ça va mieux… Mais il avait avant tout des problèmes physiques. Quand on parle de son mental, on est en plein délire. J’ai même entendu dire que j’étais trop influent ! Les vrais journalistes n’avaient qu’à consulter son bulletin médical. On l’a fait jouer avec une fracture de la cheville, on l’a fait forcer dessus. Elle n’a été diagnostiquée sur IRM qu’un mois et demi après ! Duverne a fait le buzz, ç’a amusé tout le monde à cause du chien. Mais la remise en course de l’organisme n’est pas simple et prend du temps.

In France Football

 

« Je ne passe pas mon temps en Europe, je vis en Algérie ! »

 

«Je manque de temps pour construire»

 

«Mes déplacements se font sous escorte, sous protection»

 

 

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