EN : Belaïli interpelle Gourcuff

«Donnez-moi 20 minutes. Si je ne donne pas satisfaction, je fermerai ma gueule à jamais»

Cette interview, réalisée dans sa demeure à Saïd Hamdine, nous a non seulement permis de faire parler un joueur qui fait tout pour éviter la presse et les médias, mais aussi de découvrir qui est vraiment Youcef Belaïli. Les 2 heures qu’on a passées avec lui ont abouti à ceci : humilité, simplicité et modestie, voilà les traits de caractère de ce joueur présenté par beaucoup d’observateurs comme étant le meilleur talent que l’Algérie a enfanté depuis plusieurs décennies. Spontané et direct, Youcef Belaïli rigole quand on évoque son salaire, s’énerve lorsqu’on parle de la sélection et se montre sérieux quand on allègue ses relations avec le public usmiste. Dans cet entretien, le numéro 10 du club de Soustara parle sans concession de Velud, Dziri et Ferhat. Il raconte sa version des fait concernant ce qui s‘était passé au Maroc avec Vahid Halilhodzic… avant de lancer un appel qui ressemble beaucoup à un défi à Christian Gourcuff. «Donnez-moi 20 minutes, si je ne donne pas satisfaction, je fermerai ma gueule à jamais», dira-t-il. Youcef Belaïli n’aime pas les préjugés, ni l’image que la presse et le grand public font de lui. Il se dit triste et angoissé à cause des Verts. Il adore jouer aux dominos et bien sûr jouer au football. Son rêve le plus cher, porter les couleurs de la sélection algérienne entretien. «Si je ne joue pas en sélection, c’est que j’ai raté ma carrière, raté ma vie», nous dira-t-il. Entretien.     

 

 

Quand le public de l’USMA chante : «Belaïli ne t’entraîne pas, ce n’est pas grave… Mais continue de nous faire des matchs comme ça», ça te fait quoi ?

Ça me fait rire.

 

C’est vrai, tu ne t’entraînes pas ?

Non, ce n’est pas vrai. J’ai raté quelques séances d’entraînement pour aller régler des choses importantes, mais je me suis rattrapé après.

 

C’est donc une étiquette… 

Oui, c’est ça. Quand un autre joueur s’absente, ça passe inaperçu…Quand c’est Youcef Belaïli, ça fait la une des journaux, en plus, ça ne s’est produit que quelques fois.

 

Donc, c’est la faute à la presse…

Je n’ai pas dit ça. La presse fait son travail. Belaïli, c’est plus vendeur que… Je comprends.

 

Vous vous considérez comme une star…

Moi ?! Non, je suis comme tous les autres joueurs. C’est vous les journalistes qui font et défont les stars. Moi, je n’ai rien demandé.

 

C’est peut-être à cause de votre salaire ?

Pourquoi, vous connaissez mon salaire ?

 

Oui, on croit le connaître…

C’est combien ?

 

540 millions/mois

(Rire) C’est beaucoup d’argent ça !

 

Oui, mais c’est vrai, non ?

Non, ce n’est pas ça.

 

Corrigez-nous alors…

Je viens de le faire. Ce n’est pas mon salaire.

 

Revenons alors aux absences…

De quelles absences vous parlez ? Pensez-vous que je suis en dessous des autres physiquement ? A ce niveau, si quelqu’un ne s’entraîne pas sérieusement, ça se verrait sur le terrain. Je ne crois pas que ce soit mon cas.

 

Un jour vous êtes insulté, l’autre applaudi, comment vous prenez ça ?

Normalement.

 

Croyez-vous que le public usmiste vous aime ?

Le public usmiste aime l’USMA. Quand je fais gagner l’équipe, il m’aime, quand je ne fais rien pour que l’équipe gagne, il me déteste. C’est la loi du football.

 

Mais c’est beaucoup de pression ça…

Je ne sais pas ce que c’est la pression. Quand je suis arrivé à l’USMA, on m’a dit, attention à la tribune côté mer. Les supporters qui y prennent place sont des fanatiques. Ils insultent… J’ai dit, ok, je vais jouer côté mer alors !!!

 

Oui, c’est vrai, faut bien mériter son salaire…

(Rire) Oui, c’est ça.

 

Vous considérez-vous comme étant le meilleur joueur du championnat algérien ?

Mes amis le pensent, moi, je ne me suis jamais posé la question.

 

Qui est le meilleur joueur de l’USMA ?

Moi ! (rire). Non je plaisante, j’aime bien Hocine El-Orfi. C’est un excellent joueur. 

 

Mais Velud ne le faisait même pas jouer…

Velud a marginalisé pas mal de joueurs. Seguer, Benmoussa, El-Orfi…

 

Ça doit vous soulager de le voir partir, non ?

Non, je n’avais aucun problème avec lui. Néanmoins, je crois que l’équipe et certains joueurs se sont libérés après son départ.

 

Oui, mais vous, vous vous êtes carrément déchaîné face au RCA…

Oui, si vous le dites.

 

Vous ne croyez pas que Dziri doit rester ?

Je ne sais pas ce qui est bien pour l’équipe. Les dirigeants sont mieux placés que moi pour répondre à votre question. Mais si vous voulez mon avis concernant Bilel Dziri, je vous dirai qu’il a tout pour mener cette équipe. Il est proche des joueurs, il nous comprend, il communique bien avec nous et c’est quelqu’un qui connaît très bien le football algérien.

 

Revenons à vous, dans quel système de jeu vous vous sentez le plus à l’aise ?

Un 4-3-3 classique avec moi comme ailier gauche. J’aime aussi jouer en attaquant libre, neuf et demi.

 

Ce n’est pas le système de l’USMA ça…

Oui, mais je m’adapte. A l’USMA, on joue avec deux récupérateurs,  Koudri et Bouchema. Dans celui dont je parle, un seul d’eux doit jouer pour laisser place à un relayeur comme El-Orfi et un meneur comme Beldjilali ou Bouazza… Mais ça reste mon modeste avis, après l’entraîneur est mieux placé que moi pour décider de la tactique à adopter. Et puis de quoi je me mêle ! (rire).

 

Cette semaine, vous avez obtenu deux penaltys, vous n’en avez tiré aucun. Pourquoi ?

C’est Rabie Meftah le tireur des penaltys.

 

Mais vous avez pris le ballon et vous l’avez offert à Ferhat lors du second, pourquoi ?

Zinou revient d’une blessure. Il a été malchanceux cette année. Je voulais qu’il le tire pour renouer avec les buts et reprendre confiance en lui. C’est un bon joueur. On a besoin de tous nos atouts, car le club joue sur deux fronts.  

 

C’est généreux…

Je ne sais pas, si ça l’est ou pas. A ce moment, j’avais jugé que c’était la chose à faire, alors je l’ai faite. Je n’ai pas trop réfléchi.

 

On dit que «les Oranais» ne s’adaptent pas à Alger. C’est votre cas ?

Non. Je me sens bien. Je me suis adapté à Tunis, pourquoi je ne le ferais pas à Alger. Vous savez, je mène une vie tranquille. Il ne me faut pas grand-chose pour vivre. Une maison, une voiture, un club où je me sentirai bien… Dieu merci, j’ai tout ça, alors, pas de souci.

 

Justement, vous faites quoi en dehors de l’entraînement ?

Pas grand-chose. Je m’entraîne, je viens à la maison, je m’occupe de ma famille, je dors, je regarde la télévision… Je joue aussi aux dominos, j’adore ça. Avec Bouazza, Seguer et Kadour Beldjilali on joue presque chaque soir…

 

Beaucoup pensent que Belaïli perd son temps en Algérie et que votre place est dans un grand club en Europe, vous êtes d’accord ?

Non, je ne suis pas d’accord. L’USMA est un bon club, le championnat algérien n’est pas aussi faible que veulent le présenter certains. Je suis content et fier de porter son maillot.

 

Jouer à l’USMA vous suffit alors…

Bien sûr que non. Je veux aller jouer en Europe, et incha Allah, j’irai en Europe. Mais chaque chose en son temps. Ce que je veux vous expliquer c’est que jouer dans un club comme l’USMA, participer à la Champions League, faire face à la pression des supporters et aux exigences de notre public va certainement me permettre d’avancer. Mais ce n’est pas une fin. J’ai des ambitions beaucoup plus grandes que de me contenter de porter le maillot 10 de l’USMA.

 

Vous avez failli jouer à l’OM il y a une année, non ?

Oui. J’ai été officiellement contacté, mais mes dirigeants voulaient me vendre à un club qatari.

 

Vous avez refusé, bien sûr…

Evidemment. Je n’ai que 22 ans. Je n’irai pas me terrer au Qatar à cet âge- là.

 

Et si à la fin de cette saison un club européen vous demande, vous pensez que Hadad va vous lâcher…

Oui, j’en suis sûr. On s’est mis d’accord sur ça avant que signe ma licence.

 

Avez-vous mis ça par écrit ?

Non, sa parole me suffit largement. 

 

Le débat aujourd’hui est autour du joueur local et sa capacité à jouer en sélection. Vous êtes un produit 100% algérien que beaucoup présentent comme le futur Belloumi. Vous croyez que vous avez une place au milieu des Feghouli, Brahimi, Mahrez, Soudani…

Très modestement, oui. Je connais mes qualités et je sais que je peux jouer en sélection.

 

Si vous pouviez dire une chose à Gourcuff, ce serait quoi ?

J’ai déjà parlé avec le sélectionneur. Je crois que je lui plais. Mais si je veux lui dire une chose, ce sera celle-ci : Donnez-moi 20 minutes. Pas une mi-temps, pas un match, pas plusieurs chances… Juste 20 minutes. Si je ne donne pas satisfaction, je fermerai ma gueule à jamais. Je ne parlerai plus de la sélection.

 

C’est un grand défi, vous pourrez perdre…

Je connais mes qualités. J’ai 22 ans, bientôt 23, je n’ai jamais été sélectionné avec l’équipe première. Beaucoup de joueurs, moins bons que moi, ont eu leur chance, pourquoi pas moi ?

 

Vous parlez sûrement de l’année où vous aviez brillé en Champions League avec l’Espérance…

Cette année-là (il s’énerve), je ne comprenais absolument rien. Je ne savais plus quoi faire pour être sélectionné. Les Tunisiens me posaient souvent la question, mais je ne savais pas quoi répondre.

 

On avait dit que vous aviez un problème avec Vahid…

Je ne le connais même pas ! Comment je peux avoir un problème avec quelqu’un que je ne connais pas ?

 

On raconte que vous aviez évité de lui serrer la main au moment où tous vos équipiers l’ont fait…

J’ai déjà écouté cette histoire. Mon agent me l’a raconté. Alors, je vais vous dire ce qui s’était passé ce jour- là. C’est la première fois que je le fais.

 

Allez-y…

Il est rentré dans le vestiaire, je ne me rappelle plus pourquoi. Je n’avais même pas remarqué sa présence, il y avait beaucoup de monde. J’ai pris ma serviette et je suis allé me doucher. Il l’a mal pris je crois, alors je jure devant Dieu que je ne l’avais pas fait exprès.

 

Le tournoi de Doha approche, vous espérez y prendre part ?

(Il se tait un moment, lance un grand soupir, puis répond). Vous savez, à chaque stage, je revis la même situation. Je me dis, cette fois c’est la bonne, j’ai enchaîné plusieurs bonnes performances… Et à la fin, c’est la même déception. Je ne sais plus quoi penser. J’ai espoir qu’avec Gourcuff les choses vont s’améliorer pour moi, ce pourquoi je vous dirais que je garde espoir. Si on me prend et si on me donne ma chance, je ferai en sorte de la saisir, sinon, je suis dans mon club et je laisse les gens me juger et faire les lectures qu’ils veulent.

 

On a commencé l’interview en rigolant, là, ça ne rigole plus…

J’ai tout dans la vie. Une famille, une maison, des voitures, je joue dans un bon club, je fais le métier que j’aime…Mais je suis triste. Jouer pour la sélection de son pays est la chose la plus importante pour un joueur. Tant que je n’ai pas eu cet honneur, je me dis que je n’ai rien réussi, que je suis passé à côté, que je n’ai peut-être pas bien fait les choses. Cette frustration dure depuis 3 ans. J’espère qu’elle s’arrêtera bientôt. C’est un sujet très sérieux sur lequel je ne peux pas rigoler.

 

Peut-être qu’il faut aller en Europe pour espérer jouer en élection…

Belkalem et Slimani n’ont pas eu besoin de ça pour être sélectionnés. Je crois même qu’ils ont décroché des contrats grâce à la sélection. Mais s’il faut aller en Europe pour jouer en Equipe nationale, alors j’irai jouer en Europe.

 

Il faudra aussi peut-être faire la une des journaux dans un sens positif, et non à cause des absences…

Je crois qu’on a déjà parlé de ça. En parlant de la presse, et puisque vous me dites ce que je dois faire et ce que je ne dois pas faire, je vais me permettre de vous faire une remarque (il rit).

 

Bien sûr, allez-y…

Je crois que vous avez un grand rôle à jouer dans cette histoire. Il faut promouvoir le joueur local. Quand quelqu’un mérite d’être sélectionné, il faudra le dire, pas en page 18 ou 19, mais en page une.  

 

Mais on le fait…

Ce n’est pas assez…En revenant à ce que vous dites sur l’image que les gens ont ou peuvent avoir de moi, je dirais que ce n’est pas parce que je suis «Oranais» que je suis un gars festif. Vous m’aviez posé une question en début de l’interview concernant l’adaptation des joueurs oranais à Alger. Je crois que ma réponse répond à celle-ci aussi. Je suis un joueur professionnel. Je m’entraîne très sérieusement. J’ai une bonne hygiène de vie. Je fais ma sieste, je contrôle ce que je mange, je ne fume pas, je ne chique pas, et bien sûr je ne bois pas. Que les gens arrêtent de juger les autres sans les connaître. Si vous m’aviez demandé quelle est la chose que vous détestez le plus, je dirais les préjugés.

 

Sur ce on termine cette interview. Merci de nous l’avoir accordée…

Merci à vous de m’avoir donné l’occasion de dire ce que j’avais envie de dire depuis des années.

A. B.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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