Dernier exemple en date, l’entretien accordé par le stratège de l’USM Alger, Youcef Belaïli, à notre journal (NDLR, édition de mardi). Une interview vérité, qui a permis au grand public, de ne pas «survoler» ce joueur à travers un portrait télé ou radio de trois minutes trente, ou une «hotnews» Internet de trois lignes, mais de découvrir la psychologie et le for intérieur de ce fantastique joueur, mais aussi d’un jeune homme qui n’est pas adepte de la langue de bois, si répandue en football. Un parler vrai qui lui a permis de lâcher une véritable «bombe» en direction de l’entraîneur national.
«Donnez-moi juste 20 minutes, si je ne donne pas satisfaction, je la fermerai à jamais»
Car lors de cet entretien, où bien sûr, vu le niveau actuel du joueur de Soustara, l’équipe nationale a été énormément abordée, Youcef Belaïli, plutôt que de nous sortir le sempiternel «je travaille très dur en club et si le coach fait appel à moi je répondrai présent » ou encore «Quand l’entraîneur national me jugera apte il me convoquera naturellement», a décidé de mettre les pieds dans le plat. Echaudé de ne jamais être ni présélectionné ni sélectionné malgré des performances satisfaisantes, notamment sous l’ère Vahid Halilhodzic, le jeune Oranais de 22 ans a profité de nos colonnes pour essayer de forcer la chance ou le destin en déclarant : «J’ai déjà parlé avec le sélectionneur. Je crois que je lui plais. Mais si je veux lui dire une chose, ce sera celle-ci : donnez-moi 20 minutes. Pas une mi-temps, pas un match, pas plusieurs chances… Juste 20 minutes. Si je ne donne pas satisfaction, je fermerai ma gueule à jamais. Je ne parlerai plus de la sélection.»
Un «speed dating» au Qatar
Cette déclaration, dans un paysage footballistique algérien sclérosé par la langue de bois, la totale soumission aux présidents de club et la peur infondée de déplaire aux instances du football national, de ses joueurs, peut paraître détonantes, mais lorsqu’on l’analyse bien, elle n’a rien de révolutionnaire. Car dans un autre domaine professionnel que le football, cette déclaration de Belaïli aurait été normale, voire encourageante. Dans le monde du travail en général, y compris dans le football, l’ambition est une vertu et non un défaut. De plus, ne dit-on pas que la chance sourit aux audacieux. Youcef Belaïli propose ni plus ni moins à Christian Gourcuff qu’un «speed dating» en vue d’une embauche. Car le stratège de l’USMA ne demande même pas un entretien d’embauche avec période d’essai plus ou moins longue devant décider s’il reste pour un bail plus long ou pas en équipe nationale, mais une sorte d’entretien hyper court, de vingt minutes sur les 180 minutes du tournoi de Doha auquel participera l’équipe nationale en mars prochain, pour essayer de convaincre Christian Gourcuff. Et pour corser le jeu et convaincre le technicien breton d’accepter sa proposition, il met sa vie d’international en jeu en disant qu’en cas d’essai non concluant, il ne parlera plus d’équipe nationale. Un deal honnête aux allures de roulette russe pour Belaïli mais qui est aussi très piégeur pour Gourcuff.
Emouvant et patriote, il prend le peuple à témoin
Car même si lue hors du contexte de l’entretien dans son intégralité, cette déclaration peut ressembler à un énième «coup de sang» d’un footballeur insatisfait de ne pas être retenu en sélection, en fait il n’en est rien. C’est plus «une bouteille à la mer», et un «appel au secours» d’un joueur qui ne sait plus quoi faire pour accomplir le rêve de tout gamin qui joue au football sur un trottoir d’Alger, Tizi Ouzou, Oran, M’sila ou Tamanrasset, représenter un jour son pays en portant le maillot de l’équipe nationale. Lorsqu’il parle de la sélection avec des propos tels que «Je connais mes qualités. J’ai 22 ans, bientôt 23, je n’ai jamais été sélectionné avec l’équipe première. Beaucoup de joueurs, moins bons que moi, ont eu leur chance, pourquoi pas moi ?» ou encore «Vous savez, à chaque stage, je revis la même situation. Je me dis, cette fois c’est la bonne, j’ai enchaîné plusieurs bonnes performances… Et à la fin, c’est la même déception. Je ne sais plus quoi penser. J’ai espoir qu’avec Gourcuff les choses vont s’améliorer pour moi, ce pourquoi je vous dirais que je garde espoir.» Et enfin : «J’ai tout dans la vie. Une famille, une maison, des voitures, je joue dans un bon club, je fais le métier que j’aime… Mais je suis triste. Jouer pour la sélection de son pays est la chose la plus importante pour un joueur. Tant que je n’ai pas eu cet honneur, je me dis que je n’ai rien réussi, que je suis passé à côté.» On sent qu’il est vrai, on sent qu’il est sincère, on sent qu’il ne roule pas des mécaniques. Et lorsqu’un humain ouvre son cœur et joue carte sur table avec ses sentiments, le grand public ne s’y trompe pas. Ces déclarations empreintes d’émotion, de patriotisme, et d’une volonté de servir son pays ont touché les Algériens au cœur. Sa proposition honnête d’obtenir un casting de 20 minutes pour séduire et convaincre en équipe nationale sans volonté d’imposer sa présence, sans aigreur et sans ruer dans les brancards en criant à la «hogra» a reçu l’adhésion totale de la rue algérienne qu’il a su prendre à témoin. Un coup de maître de Belaïli qui a balayé en deux phrases l’image de jeune talentueux, mais sans autres repères que l’argent et la fête qui était inscrite dans le cerveau de tous les Algériens.
Les mêmes préjugés dont souffrait Nadir Belhadj
Les professionnels de la communication conseillent souvent à leurs clients footballeurs de donner le moins d’interviews possibles et d’en dire le moins possible. Grave erreur dans certains cas comme celui d’Youcef Belaïli. Car au fil de cet entretien, on a découvert un joueur aux antipodes du Youcef Belaïli tel qu’il était perçu dans l’inconscient collectif de tous les Algériens. Car comme dans «le chien de Pavlov», lorsqu’on prononçait le nom Belaïli, 95% des gens vous répondaient du tac au tac : «Pas sérieux, effronté, arrogant, aime l’argent et «Oranais donc meryoul», le mot dialectal tiré du français mariolle qui signifie adepte du monde de la nuit et de tout ce qui va avec. Après avoir lu cet entretien nous nous sommes aperçu qu’Youcef Belaïli est beaucoup moins «rock n’ roll» que l’on croit. C’est un jeune Algérien très simple, footballeur professionnel, marié et adepte des parties de dominos avec ses collègues. Et nos confrères qui travaillaient avec l’Espérance de Tunis, son ancien club, confirment cette information. A l’époque de Rabah Saâdane, le très pantouflard Nadir Belhadj, adepte de la sieste et de Canal Satellite, qui se couchait à 20h, souffrait lui aussi du «fantasme de l’Oranais», et on lui prêtait aussi une vie trépidante. Pour conclure sur le sujet, l’argument qui dit que Belaïli n’a pas le mode de vie et la mentalité pour se fondre dans le collectif de l’équipe nationale ne tient définitivement plus.
Il met Gourcuff dans une position difficile
Les performances sur le terrain, combinées à la déclaration d’amour d’Youcef Belaïli envers l’équipe nationale. Ses explications concernant la rumeur désormais infondée, indiquant qu’il avait refusé à l’époque de la CAN U23, de serrer la main à Vahid Halilhodzic et, surtout, sa proposition très intelligente d’être testé 20 minutes au tournoi de Doha en échange de ne plus «la ramener» ensuite, en cas d’essai non concluant vont mettre Christian Gourcuff dans l’embarras. Car si cet appel n’est pas entendu, la rue algérienne, haranguée à longueur de journée à la télévision par les différents consultants des chaînes privées, à propos du débat «pros vs locaux», ce douzième homme officiel de l’équipe nationale, va crier au scandale, voire au deux poids, deux mesures, arguant du fait que d’autres joueurs venant d’Europe, et à qualité égale, ont eu leur chance et qu’il marginalise le joueur local contrairement à son prédécesseur Vahid Halilhodzic. Et s’il l’appelle et que le test est concluant, son problème de riche, concernant le milieu de terrain, déjà bien fourni, va s’amplifier. Car il ne faut pas oublier Nabil Fekir, annoncé en juin.
Acte désespéré ou confiance en ses qualités ?
On peut dire ce que l’on veut d’Youcef Belaïli, mais on ne peut pas dire qu’il manque de courage. Mais est-ce du courage, de la témérité ou un excès de confiance en soi ? Lorsqu’on relit ses déclarations, notamment celle où il dit : «Donnez-moi 20 minutes. Pas une mi-temps, pas un match, pas plusieurs chances… Juste 20 minutes. Si je ne donne pas satisfaction, je fermerai ma gueule à jamais. Je ne parlerai plus de la sélection.» On est tentés de répondre, sans doute un peu des trois. Car lorsqu’on est un footballeur avec du « génie » comme Belaïli, et les mots sont pesés, on a cette part de narcissisme, d’arrogance et de sur-confiance en soi, qui a permis à ces joueurs d’émerger et de se distinguer des autres pour réussir même à talent égal. Si vous retirez le nom, le prénom et la photo d’Youcef Belaili de cette interview et que vous la fassiez lire à un Européen en lui demandant qui a fait ces déclarations, il vous répondra sans hésiter Zlatan, un Argentin vous répondra Maradona ou Riquelme et un Italien vous répondra Totti. Belaïli fait partie de cette «race de joueurs, les talentueux, souvent écorchés vifs et qui ne veulent pas se «la fermer pour se la fermer» quand ils sentent l’injustice.
Sélectionné ou pas, Belaïli a gagné son pari
Nous saurons le 23 mars prochain, au moment de l’atterrissage de l’avion Alger6Doha où voyagerons le staff et les joueurs locaux sélectionnés pour le stage et les deux matchs amicaux en terre qatarie, face au Qatar et au Sultanat d’Oman, si la requête d’Youcef Belaïli aura reçu un écho favorable de la part de Gourcuff ou non. Mais quel que soit le verdict, l’Oranais de l’USM Alger aura gagné son pari. Car présent ou pas, il sera au centre du débat médiatique et de la rue. A chaque point de presse, le sélectionneur aura droit à sa question sur Belaïli, surtout s’il continue à avoir un rendement aussi satisfaisant qu’aujourd’hui. Belaïli, oublié depuis 2 ans, est sorti du placard et a réussi à être le «symbole», comme la voiture 100% algérienne du même nom, la figure de proue, du joueur local. Comme disent les Anglais : «Wait and see», il n’y a plus qu’à attendre la suite.
M. B.