Dans son interview à l’Equipe Magazine
«Je me suis dit jamais j’y vais à Leicester»
«Ranieri regarde les stats, je fais mes 11 km par match»
Avez-vous conscience que toute l’Europe du foot s’est prise d’affection pour Leicester et souhaite vous voir sacrés champions ?
Pas trop, non. On sent bien qu’il se passe quelque chose en
Angleterre, mais on vit un peu dans notre bulle. On n’a pas les meilleurs joueurs, ni le plus gros budget, mais notre solidarité force l’admiration. On a eu un peu de chances aussi. C’était cette année ou jamais.
Votre aventure, c’est la revanche des «faibles» face aux puissants. Vous y voyez une morale ?
Ce n’est pas une revanche des petits. C’est juste un symbole. On est là, c’est tout. Jusqu’en janvier, on ne pensait pas au titre. Là, c’est devenu possible, mais on ne se prend pas la tête.
J’insiste, Jamie Vardy, N’Golo Kanté et vous n’êtes pas passés par les centres de formation, c’est un peu la revanche des «pieds nus».
J’aime bien cette image. On n’était pas programmés pour devenir pros. On vit avec une certaine forme d’insouciance. Avec N’Golo, on en rigole. C’est impossible notre histoire, même si rien n’est fait. Wes Morgan, notre capitaine, a lui aussi été détecté sur le tard. Mais franchement, en interne, il n’y a pas de différence entre les pros classiques et nous. C’est tranquille. On s’amuse, on kiffe. Jamie Vardy et moi on se marre même pendant les matches. Lui, ça se voit plus à la télé que moi, mais on est tous des décontractés. À l’échauffement, dans le tunnel, on chambre. Mais une fois sur le terrain, on y va à fond. À Sarcelles, on me disait déjà d’arrêter de rigoler parce que je chambrais sans cesse. Je suis un mec très marrant. Enfin, je ne veux pas me lancer de fleurs… (Il rit.) Je m’amuse. Et, surtout, je suis un fou de compétition. Dans tous les jeux, je veux gagner. En France, dans les clubs où je suis passé, j’étais un peu le Djamel Debbouze du groupe. Un peu moins ici, en Angleterre.
Jamie Vardy, votre avant-centre, a une dégaine de joueur du dimanche. Et il passe son temps à rire sur le terrain. Zlatan, Agüero, Rooney and Co., eux, ne rigolent presque jamais.
Lui et moi, on est les amuseurs du vestiaire. Le coach, Claudio Ranieri, nous laisse vivre. Sauf une fois à la mi-temps, face à Newcastle. Là, il nous a crié dessus. Sinon, il aime bien rire. À l’entraînement, il s’amuse tout le temps. Moins les jours de match. Là, il est concentré. Moi, je vais essayer de plaisanter avec lui, de lui dire qu’il est en retard, de me moquer de ses chaussures, mais même s’il sourit, il me répond foot. Il me dit : «Oh, oh, concentre-toi sur le match !» Son truc, c’est de nous dire : «Be smart, you are foxes.» Soyez malin, vous êtes des renards, le symbole du club. En Algérie, j’ai le fennec comme emblème. Il faut qu’on soit rusés.
Vous êtes fier d’être un footballeur de rue ?
La rue, pour moi, c’était dribbler, dribbler, aller au but tout seul. Quand je suis arrivé en pro, je n’ai rien appris sur le dribble. Je savais tout faire. En pro, j’ai travaillé physiquement pour éliminer, faire la différence. Un peu à Quimper, en CFA, mais surtout au Havre ensuite. Là, j’ai passé un cap. Tous les jeudis après-midi, on bouffait des abdos. Plus d’une heure de gainage. Ça m’a endurci. Tactiquement, je n’étais pas bien non plus. Je restais devant et j’attendais la balle. Dans la rue, y a pas de hors-jeu. Érick Mombaerts m’a bien fait bosser là-dessus. Un sacré formateur. Avant, je ne prenais jamais la profondeur, je ne me replaçais jamais. Je voulais la balle dans les pieds pour aller dribbler. Les gars m’attendaient…
Le 24 avril dernier, vous avez été élu meilleur joueur de la saison du Championnat par vos pairs. Vous vous y attendiez ?
C’est une fierté. Je m’yattendais un peu quand même, à force d’entendre tout le monde me dire que j’allais être élu, mais tu as toujours un peu de doute au fond de toi. Bien sûr que je l’espérais, mais je me la raconte pas. Je n’ai encore rien gagné. J’ai vu que John Terry a voté pour moi. C’est flatteur. Il a tout gagné. L’an passé, chez eux à Chelsea, il m’avait tué net. Il décodait mes dribbles. Cette année, face à eux, j’ai marqué et fait une passe décisive. Ici, on ne te lâche pas au marquage. Y en a, tu vas boire de l’eau, ils te suivent…
Le plus dur commence. Il va vous falloir confirmer.
Pour le moment, je n’ai rien fait dans le foot. Je n’ai pas envie que cette saison se termine. On est bien, là. L’an prochain, il va falloir tout remettre à zéro.
Vous retournez à Sarcelles parfois ?
Oui, mais ça devient difficile dans la rue. J’ai envie d’être normal, mais ce n’est plus possible. Halima, ma mère, a arrêté de faire des ménages, je suis content pour elle. C’est ma fierté de pouvoir lui offrir ce luxe. Je ne lui rendrai jamais tout ce qu’elle m’a offert. Quand Quimper (au printemps 2009) m’a proposé un essai j’avais 18 ans –, le billet de train coûtait 160 euros. J’avais dit à ma mère : «T’inquiète, je vais te les rendre. Je vais percer.» Aujourd’hui, je le lui ai enfin bien rendu. Pas à mon retour de
Quimper, puisqu’elle ne m’avait rien demandé. Depuis, je fais tout pour elle. J’aurais aimé commencer ma carrière plus près d’elle. Garder les copains. Quimper, c’était vraiment loin. En
Une saison, je suis rentré une fois. Je vivais encolocation avec un des frères Pogba. Je ne voulais pas ramener ma mère, j’avais un peu la honte, c’était le bordel dans l’appart. Et puis le billet était cher. Je gagnais 700 euros par mois.
Vous avez donc douté de vous. Comme lors de votre essai raté en Écosse, dont vous ne me parlez pas.
Ça, c’était avant Quimper. Un agent, Jean Evina, me dit qu’il a un essai pour moi en D1 écossaise avec la réserve de Saint Mirren. Il m’a payé le billet et je suis parti avec un autre gars de Sarcelles, Dany Bekale. Ça se passait bien. J’ai disputé quatre matches amicaux en réserve et j’avais mis 7 buts. Je les avais tués. Et on me faisait attendre. Deux mois et demi. J’en avais marre. Ça me rendait fou, l’Écosse. Il faisait froid. C’était abuser. Il neigeait et tout…J’avais tellement froid qu’un jour j’ai simulé une blessure pour aller au vestiaire. Bref… Quelques jours plus tard, mon agent me dit : «Je crois que Jake Duncan, l’agent anglais qui bosse avec nous, veut me doubler. Riyad, je t’ai pris un billet, tu prends tout de suite le bus, tu files à la gare de Glasgow et tu montes dans le train pour l’aéroport, puis tu prends le vol pour Paris.»Je ne parlais pas anglais du tout. J’avais oublié mes crampons au centre d’entraînement. J’ai emprunté le vélo d’un gars de l’hôtel, j’ai pris mes chaussures de foot, j’ai fait mon sac et je suis parti sans prévenir personne. Même pas la dame de l’hôtel. Je suis passé par un escalier qui évitaitla réception.
Comment avez-vous été accueilli à Sarcelles ?
Attends, j’ai pas fini. Duncan, l’agent anglais, s’est vengé et a fait déchirer le contrat qu’un autre Français avait signé avec Queen of The South, en D2 écossaise. Le gars, je le connais bien, il joue à Béziers, c’est Halifa Soulé. Il a mangé, lui. Il n’avait rien à voir dans cette histoire !
Après votre expérience malheureuse en Ecosse, comment avez-vous accueilli l’offre de Leicester, club de D2 anglaise, à la fin de 2013 ?
D’entrée, je me suis dit : «Je n’irai jamais.» Mes agents râlaient:«T’es dingue ou quoi? C’est un club de fou, Leicester.» Moi, je croyais que c’était un club de rugby (il rit). Je te jure.
J’avais vu le recruteur de Leicester, mais j’avais dit à mes potes après : «Jamais j’y vais.» Une semaine après, mes agents me relancent. Ils me disent : «Oh ! Riyad, ils te veulent à fond.
Va voir leur stade sur internet.» Ils ont insisté, le lendemain, j’ai fini par jeter un coup d’œil. Et j’ai dit O.K., là, ça va. En plus, je sentais que Le Havre ne voulait pas trop me garder. Le président, il était bizarre avec moi.
Ils voulaient les 450 000 euros du transfert, en fait…
Voilà. Alors, j’ai demandé conseil à ma mère. Elle m’a dit : «Leicester ? Ah, je ne connais pas… C’est à toi de savoir.» Alors, j’y suis allé pour voir. C’était un 7 ou 8 janvier, et deux jours plus tard, je dois jouer avec le HAC face à Metz. Je visite le centre d’entraînement, le stade. Bien… Beau gosse, tu vois. Top. Allez, vas-y, on signe. Ils sont premiers en D2 anglaise. Je me dis que c’est mieux d’être premier avec eux que dixième avec Le Havre. Petit problème, ça coince entre les agents et le club. Pas grave, moi je suis content, je me dis que je vais pouvoir jouer contre Metz. Une demi-heure passe, mes agents reviennent et me disent: « Allez ! On fait l’effort, faut que tu signes, c’est trop bon pour toi.» J’ai signé pour un bon salaire de joueur de Ligue 1.
Vous vous souvenez de votre premier match ?
C’était à Leeds. Je reste sur le banc. C’était mieux que je ne rentre pas… C’était… intensif. Si je rentre, ils me découpent. Obligé. En plus, à Elland Road, le banc est en contrebas, tu es à demi-enfoncé. Ils paraissaient encore plus grands, les joueurs. Je me serais fait tuer, sûr. Le coach, il voulait que je regarde. Je suis rentré lors du deuxième match, chez nous, contre Middlesbrough. Un mois après, je deviens titulaire. Je ne suis plus jamais sorti de l’équipe.
Vous n’avez jamais douté de votre choix ?
Si, au début, je me suis demandé comment j’allais faire… À Leeds, je me suis dit : «T’es venu où là ?»
Pour vous, le football est un sport d’évitement ?
Oui, c’est instinctif. À l’entraînement, Claudio Ranieri organise des mini-matches où on a droit à maximum trois
touches de balle, sauf un joueur libre par équipe. Et ça tourne. Moi, je dis au coach : «Eh ! boss, j’ai pas encore été le joueur libre.» Je veux trop être ça, celui qui improvise. Là, juste avant de venir vous voir, on a perdu à cause de moi, je n’ai fait que dribbler. J’aime trop.
La sélection algérienne, c’est grâce à l’Angleterre qu’elle a commencé à vous suivre ?
Jamais personne n’était venu me voir avant Leicester. Pourtant, je pensais que j’avais le niveau quand j’étais au Havre. Mais là où j’ai vraiment progressé, c’est ici. Ranieri nous a bien cassé la tête à l’entraînement avec le travailtactique (il rit). Ça amis du temps à rentrer ,mais notre style de jeu a évolué. «Riyad !Reviens dans la ligne de quatre! Reviens défendre! »
Ça, je l’ai entendu…Ranieri, il insiste et il insiste. Il regarde
tes stats aussi. Si tu ne cours pas, tu ne joues pas. Je fais mes 11 km par match.
Vous êtes une équipe de contre ?
On n’est pas le Barça. On ne va pas s’inventer des vies. On reste solides et on contre. Mais les adversaires nous attendent, et ça devient compliqué, surtout chez nous. Ça va être dur jusqu’au bout. Mais bon, si vous dites que toute l’Europe est avec nous… (Il rit.)