Abdelhak Benchikha n’est plus l’entraîneur de la JS Kabylie depuis le match des 1/32 de finale de la Coupe d’Algérie remporté face à l’ES Guelma vendredi passé (2-0). Il explique ici les tenants et les aboutissants de son départ inattendu des Canaris qu’il laisse en tête du classement de la Ligue 1 obilis. Entretien exclusif.
Vous avez pris tout le monde à contre-pied en annonçant votre démission de la tête du staff technique de la JS Kabylie à la fin du match de Coupe d’Algérie face à l’ES Guelma. Qu’est-ce qui a motivé une telle décision ?
C’est une accumulation de faits hostiles à mon égard. J’ai toujours accepté les critiques mais de là à attenter à mon honneur et ma dignité, ça je l’accepterai jamais. Ce qui s’est passé à Guelma était la goutte qui a fait déborder le vase. On ne m’a pas seulement insulté, mais on m’a craché dessus de surcroît.
Que s’est-il réellement passé ?
C’était à la mi-temps du match. Quand je me dirigeais tranquillement vers les vestiaires, une partie du public de la JSK a commencé à scander « Benchikha dégage ! » Je ne comprenais pas cette hostilité, surtout qu’on menait 2 buts à 0, sans parler de notre parcours en championnat qui reste positif quoi qu’on puisse dire. Mais ce n’est pas cela qui m’a dérangé le plus.
J’étais choqué surtout par le comportement de quelques pseudo-supporters qui n’ont pas cessé de m’insulter et de me traiter de tous les noms d’oiseau avec virulence comme si j’étais le malheur de la JSK. Et comme j’ai tenté de raisonner l’un d’entre eux, il m’a carrément craché dessus. Cela ne m’est jamais arrivé. Je me suis senti blessé dans mon honneur. J’ai décidé alors de m’en aller.
Quelle a été la réaction de vos joueurs, lorsque vous leur avez communiqué votre décision de démissionner ?
Je les ai réunis à la fin du match pour leur annoncer la nouvelle. Ils étaient surpris et à la fois déçus. Ils ont tenté de me faire changer d’avis. En vain. C’est normal après tous ces mois passés ensemble. Nous avons quand même vécu des moments forts. Je suis surtout triste pour eux, parce qu’on avait l’ambition de construire quelque chose sur la durée.
Avez-vous déposé officiellement votre démission, quelle a été la réaction des responsables de la JSK ?
Oui, je l’ai déposée ce matin (NDLR, hier) . La direction l’a rejetée. J’ai pris un café avec Hakim Medane qui a tenté de me faire revenir sur ma décision. Il m’a clairement signifié que si je partais, l’ensemble des dirigeants feraient de même. J’étais très touché par cette marque de confiance, mais je lui ai affirmé que ma décision était, quoi qu’il en soit, irrévocable…
... à ce point ?
Oui, mais ma décision de quitter la JSK est sans appel, car mûrement réfléchie. Comme je vous l’avais dit précédemment, c’est la conséquence d’une accumulation. Je m’en vais parce que j’ai constaté qu’on ne voulait vraiment pas de moi dans ce club. Je ne parle pas des dirigeants qui ont tout fait pour me mettre dans les meilleures conditions possibles. Je pense à ces charmantes personnes que sont Hakim Medane et Karim Doudane qui sont comme des frères pour moi. J’ai aussi un grand respect pour le président El Hadi Ould-Ali qui a, lui aussi, essayé de me retenir. Malheureusement, j’étais la cible de l’hostilité d’une partie des supporters qui ne voulaient pas de moi dès le premier jour. Ils s’en prenaient à moi, même lorsqu’on gagnait et je vous épargne les campagnes sur les réseaux sociaux... Ils me méprisent et je ne comprends pas pourquoi. Une chose est sûre, je n’aurais certainement pas eu droit au même traitement, si j’avais été un entraineur étranger.
Certains considèrent votre décision comme une fuite devant la pression…
Vous pensez que je suis le type d’entraîneur à fuir la pression ? C’est mal me connaître. J’ai tété la pression au biberon. Ce n’est donc pas aujourd’hui à 61 ans que je vais la fuir. Ma carrière est derrière moi. J’ai entraîné de grands clubs en Algérie et à l’étranger et j’ai toujours affronté la pression là où je suis allé, parce que j’aime ce métier. Je pense à mon passage au CRB, au MCA et à l’USMA là où le seuil d’exigence est très élevé. Idem pour le Club Africain, le Raja, Berkane et Simba qui sont aussi des clubs à forte pression. Donc, cet argument ne tient pas du tout la route.
N’est-il pas illogique de quitter un club qui occupe actuellement la première du classement en championnat et qui vient de surcroît se qualifier pour les 1/6 de finale de la Coupe d’Algérie ?
J’ai été forcé à le faire, parce qu’on s’est acharnés contre moi. Rien ne pourrait satisfaire ces gens-là même si je devais remporter la Coupe du monde. En fait, ils ne veulent pas voir la JSK réussir. Ils la préfèrent la voir jouer la relégation. D’ailleurs, je comprends maintenant pourquoi ce légendaire club végétait dans les profondeurs du classement ces dernières années.
Certains supporters vous reprochent la qualité de jeu de votre équipe qui, selon eux, n’est pas à la hauteur des investissements consentis…
A entendre cela, on croirait que la JSK réussissait des séquences de 50 passes avant mon arrivée. Soyons raisonnables. J’ai hérité d’un groupe constitué à 80% de nouveaux joueurs dont la moyenne d’âge ne dépasse pas 23 ans. Pour construire une équipe, il faut du temps et de la patience. Il fallait essayer plusieurs variantes pour mettre en place un dispositif de jeu efficace. Cela ne vient pas du jour au lendemain. J’ai essayé lors des premiers matchs de faire le jeu, mais ça nous a coûté de nombreux points. Il fallait préalablement doter l’équipe d’une solide assise défensive. Si j’avais une défense robuste, la JSK aurait aujourd’hui une avance conséquence sur ses poursuivants immédiats. Et puis, il ne faut pas oublier la grave blessure de notre gardien n°1 Gaya Merbah durant l’intersaison et qui nous a fortement pénalisés. Ceux qui connaissent bien le football savent qu’un gardien représente 50% de l’équipe. J’ai essayé de faire avec en misant d’abord sur le jeune Benrabah qui n’est pas du tout à blâmer, mais qui manquait beaucoup d’expérience. J’ai ensuite fait jouer Hadid qui a donné lui aussi le meilleur de lui-même, sauf qu’il est très difficile de remplacer un gardien de la trempe de Gaya Merbah.
On a également pointé du doigt le recrutement. Quel rétorquez-vous ?
Tous les joueurs que j’ai ramenés ont couté zéro centime à la JSK, à l’image de Sarr et Kanouté que j’ai eus à Simba et qui ont montré de belles dispositions. Cela aurait pu être de même pour Ouattara qui est un attaquant qui a fait ses preuves là où il est passé, notamment à Berkane, et qui est un international burkinabè. Malheureusement, il a eu une adaptation très compliquée. D’ailleurs, il m’a clairement signifié qu’il ne sentait pas heureux à la JSK.
Ne craignez-vous pas que votre départ déstabilise l’équipe ?
Je ne pense pas. Parce que le futur entraîneur aura à sa disposition une équipe qui commence à avoir ses propres automatismes. Il suffit juste d’un bon recrutement au mercato hivernal pour qu’elle devienne hautement compétitive. Je suis même convaincu que la JSK ira loin et c’est tout le mal que je lui souhaite.
On vous laisse le soin de conclure cet entretien…
J’aimerais surtout remercier tous ceux qui ont cru en moi, aussi bien les dirigeants, les anciens joueurs ainsi que les vrais supporters de la JSK. D’ailleurs, là où je suis passé en Kabylie, ils n’hésitent pas à me témoigner leur amour et leur respect. Malgré toute l’hostilité que j’ai eu à endurer de la part de certains déstabilisateurs, mon passage à la JSK reste pour moi inoubliable. J’aurais aimé mener à terme ce projet, mais on m’a malheureusement empêché de le faire. Mais je pars de ce grand club la conscience tranquille et surtout avec le sentiment du devoir accompli. L’équipe occupe actuellement la première place du championnat avec un match en retard. Il y a certes le calendrier à mettre à jour. Mais au pire des cas, la JSK terminera la première moitié de la saison dans le top 5 ce qui, en soi, est positif par rapport aux années écoulées.
- M.